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Diaspora, mondialisation et développement de l’Afrique

Dans le contexte de la mondialisation où les migrations transnationales et internationales sont considérées comme une mobilité géopolitique et géoéconomique, l’apport des Africains de la diaspora peut prendre une signification bien particulière pour l’Afrique en matière de son développement. Ce texte propose une réflexion sur la nature de cette signification, dans les rapports Nord-Sud.

Et si la diaspora Africaine rimait avec solidarité internationale et développement ?

À partir de leurs indépendances dans les années 1960, les pays africains qui entrent à « l’ère du développement » vont connaître à des degrés divers l’émigration de leurs ressortissants vers l’Europe et l’Amérique du Nord. Or, dans l’analyse du processus de développement, la variable migration a un caractère paradoxal. En effet, elle peut être vue sous une optique de gain ou de perte pour la construction des pays d’origine. Pendant la décennie 1960-1970, l’émigration des ressortissants africains était surtout considérée comme nuisible au développement de l’Afrique. Mais plus tard, on a compris que les émigrants pouvaient aussi représenter potentiellement des diasporas susceptibles d’être mobilisées au profit de leur pays d’origine (Gaillard et Gaillard, 1998).

Depuis lors, on tend de plus en plus à analyser les migrations sous une optique de gain, et des études mettent en lumière l’implication des diasporas africaines à titre de partenaires (formels ou informels) dans les projets de développement local dans leurs régions, villes et villages d’origine. Dans le contexte de la mondialisation, où les migrations transnationales et internationales sont considérées comme une mobilité géopolitique et géo-économique, ces partenariats peuvent prendre une signification bien particulière pour l’Afrique, dans les rapports Nord-Sud, en matière de solidarité internationale et de développement. Ce texte propose une réflexion sur cette signification. Après avoir donné une définition du concept de diaspora, nous élaborons successivement sur la question des diasporas africaines et les divers programmes de développement dans lesquels elles interviennent (ou pourraient intervenir) selon différents types de partenariats nationaux ou internationaux.

De la notion de diaspora

Le mot diaspora, qui signifie « dispersion », vient du grec sporo qui veut dire « graine » ou de speira signifiant « semer ». À l’origine, le terme était utilisé pour désigner « la dispersion des établissements helléniques autour de la Méditerranée depuis des temps anciens » (Gaillard et Gaillard, 1998 : 41). La notion de diaspora désignait précisément la migration des savants grecs expatriés et diffusant à travers le monde la culture hellénique. En effet, dans le domaine des sciences, l’émigration des savants, ou « l’exode des cerveaux », est un fait historique bien connu dans l’Antiquité grecque.

Il s’agit d’un phénomène que l’on peut d’ailleurs qualifier d’universel. Dans la tradition biblique, le terme a ensuite été utilisé pour désigner la « dispersion des Juifs » et enfin parler des peuples ne disposant plus de territoire national autonome, comme les Palestiniens ou les Kurdes. Mais depuis les années 1980, la géographie a recours à la notion de diaspora pour nommer les communautés nationales migrantes en interaction entre elles et avec le pays d’origine. Cette définition met ainsi l’accent sur la territorialité particulière de cette forme d’organisation sociale qu’est la diaspora. De manière générale, on met en évidence trois grands secteurs dans lesquels s’opère l’interaction diasporas-pays d’origine :

  1. le secteur du développement local ;
  2. le secteur des affaires ;
  3. le secteur de la science et de la technologie (S&T).

Dans cette perspective, la diaspora renvoie à la « multipolarité » de la migration et à l’« interpolarité » des relations. Enfin, la diaspora se caractérise fondamentalement par l’existence réseau. De nos jours, la mondialisation de l’économie et celle des nouvelles technologies de l’informatique et de la communication (NTIC) sont grandement propices à la formation et à la consolidation des réseaux ainsi qu’à l’émergence de nouvelles formes de diasporas.

L’Afrique et ses diasporas

Les conditions de vie très difficiles ou les ambitions personnelles et collectives obligent souvent les populations africaines à quitter leur pays d’origine pour d’autres « cieux meilleurs » ou d’autres eldorados réels ou imaginaires. Dans les années 1960, les pays du Sahel (Mali, Mauritanie, Sénégal), généralement pauvres, accèdent à l’indépendance. Devant de graves problèmes de chômage, ils mettent en oeuvre des programmes de développement qui favorisent l’émigration de leurs ressortissants vers l’ancienne métropole, la France. Cette mesure, qualifiée souvent de « soupape de sécurité », permettait de desserrer l’étau du chômage pour maintenir une cohésion sociale. Dans les années 1970, une nouvelle politique migratoire favorise l’arrivée des marchands ambulants du Sahel qui sillonnent, outre la France, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède, l’Italie, l’Espagne, etc.

On assiste également à l’émigration des travailleurs d’autres pays africains (Diop, 1993). Dans la même période, l’Afrique connaît « l’exode des cerveaux ». Les meilleurs ingénieurs, techniciens, juristes, médecins, professeurs, chercheurs, scientifiques, artistes, écrivains, etc., africains quittent leur pays pour l’Europe et l’Amérique du Nord « à la recherche d’un véritable statut, d’une reconnaissance de la valeur de leurs capacités » (Corm, 1993 : 55). Les régimes de dictature et la crise économique et sociale, provoquée par les Programmes d’ajustements structurels imposés aux pays africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI) au début des années 1980, forcent des entrepreneurs, commerçants et négociants, etc., à prendre le chemin des pays riches. Enfin, les deux dernières décennies (1980-1990 et 1990-2000) ont été celles de nouvelles catégories d’émigrés. Il s’agit des émigrants écologiques qui fuient les conséquences de la désertification, de la sécheresse et de la famine. Ou encore des émigrants politiques qui ont survécu aux dictatures africaines, des émigrants économiques victimes du chômage endémique, de la crise de l’emploi et de la pauvreté.

D’après les estimations de 1990, les Africains résidant dans 10 pays européens étaient de l’ordre de 289 101 personnes. La répartition par nationalité indique que les Sénégalais, les Ghanéens, les Maliens et les Nigérians constituent le groupe majoritaire (Robin, 1992). Mais il faut considérer ces chiffres avec circonspection, car ils sont sous-estimés dans certains pays comme l’Espagne, l’Italie ou la Belgique (Aguer, 1991). Les flux de migrations de l’Afrique ont également abouti au cours des dernières décennies en Amérique du Nord. Par exemple, les données de ces années estimaient à 16 949 le nombre total d’étudiants, scientifiques et ingénieurs de l’Afrique subsaharienne aux États-Unis. Le Canada a accueilli aussi quelques flux migratoires de cette partie du continent africain (Halary, 1994). L’émigration africaine vers certains pays du Nord ou du Sud est ainsi devenue un phénomène international important de la fin du XXe siècle. Il n’est donc pas exagéré de recourir au concept de diaspora pour désigner les populations africaines, toutes catégories sociales confondues, en exil volontaire ou involontaire et dispersées aujourd’hui dans les quatre coins du monde. Par diasporas africaines, ou Africains de la diaspora, nous entendons les communautés, des différents pays de l’Afrique subsaharienne, installées en Europe, aux États-Unis, au Canada, dans les Antilles, aux Caraïbes, et y travaillant, vivant ou survivant tant bien que mal. On peut y inclure aussi les communautés africaines installées dans des pays du sous-continent autres que leur pays d’origine.

Contrairement aux diasporas asiatiques, du Moyen-Orient et de certains pays d’Amérique latine qui ont des organisations confédératives comme la Convention mondiale des chinois, le Congrès mondial juif, les diasporas africaines ne disposent pas de tels organes. Les associations des émigrés d’Afrique ont tendance à s’organiser plutôt sur la base du pays, de la région ou de la localité d’origine. Mais, en tant qu’émigrés, les Africains, à l’instar des autres peuples d’émigrés, développent ce qu’on peut appeler la « culture d’émigré » dont les valeurs fondamentales sont : l’importance de la communauté d’appartenance, les ambitions saines de réussite pour soi-même et sa progéniture, la valorisation de l’éducation, la propension à l’épargne, l’esprit de sacrifice, la débrouillardise, l’esprit d’initiative (de Rochebrune, 1996).Cependant, comme immigrants, les Africains ont souvent des rapports très variables avec la société d’accueil, eu égard à leur adaptation, leur insertion professionnelle et sociale. Tous les cas de figure sont possibles. Ils peuvent aller d’une insertion sociale et professionnelle partielle ou complète à des situations de précarité, de chômage, d’exclusion et de pauvreté. Dans tous les cas, les diasporas peuvent être vues comme le prolongement de la société civile du pays d’origine. En cela, elles peuvent représenter un flux et un reflux de forces économique, politique, sociale et culturelle potentielles pour le pays d’origine et le pays d’accueil.

Les diasporas africaines et le développement local

Les diasporas africaines jouent un rôle non moins important dans les efforts du développement local dans leurs pays. Leurs actions sont remarquables dans les activités d’économie sociale où les associations diasporiques prennent des initiatives seules ou en partenariat avec des mouvements associatifs du Nord. Par exemple, c’est le cas de l’engagement volontaire formel des émigrants dans les activités de développement économique, social et culturel de leurs localités ou régions d’origine. Il peut s’agir d’expédition de biens en nature, de transferts de fonds « institués » (des retenues sur salaire effectuées par les services sociaux de retraites, d’allocations familiales, etc.). Ces apports de la diaspora peuvent représenter une source appréciable de financement. On a constaté que, dans certains pays africains, les contributions des émigrés en France ont « dépassé l’aide publique au développement octroyée par le pays hôte » (Dembélé, 2001 : 242). Dans les années 1990, pour le Sénégal, les chiffres étaient de 132 millions dollars chez les immigrés et de 250 millions de dollars pour l’aide publique française. Les transferts des immigrés du Mali en France se chiffraient à 25 millions de dollars et l’aide publique française à 93 millions. Pour la Côte-d’Ivoire, la part de sa diaspora était de 21 millions de dollars alors que l’aide publique de la France s’élevait à 305 millions (Condamines, 1993).

Ces apports peuvent se comparer favorablement à certains postes de la balance commerciale de certains pays. Ainsi, pour le Sénégal par exemple, en 1994, les envois de ses ressortissants en France étaient au même niveau que les exportations des produits d’arachides. Dans de nombreuses localités de la plupart des pays africains, les envois des diasporas constituent la seule et souvent l’unique source de revenu des individus et des familles (Dembélé, 2001 : 243).

Parfois, les Africains de la diaspora s’organisent de façon formelle dans des associations pour oeuvrer, en partenariat avec les compatriotes demeurés au pays, à la réalisation des projets de développement en terre d’origine. De nouvelles formes de coopération ont vu le jour au courant des années 1990. Il s’agit notamment du partenariat entre les associations diasporiques, les mouvements associatifs ou les organisations non gouvernementales (ONG) du pays hôte. C’est notamment le cas des émigrés sahéliens en France. L’exemple le plus connu et souvent cité est celui des associations des diasporas de la vallée du fleuve Sénégal (Mauritanie, Sénégal et Mali). Selon l’Institut Panos, on en comptait environ 400 en France dans les années 1990. Ces associations de partenariat et de solidarité internationale ont joué et continuent de jouer un rôle important dans le développement local en Afrique (Dewitte, 1995 ; Condamines, 1993). Leurs interventions ont permis de doter de pan entier de villages et de localités d’infrastructures de base, c’est-à-dire d’écoles, de dispensaires, de centres de santé, de silos de stockage de céréales, d’aménagement de périmètres irrigués, de constitution de banques céréalières, de réseaux d’eau potable et d’assainissement, etc. Les diasporas participent également à des activités d’économie sociale : développement de micro-financement, transports, coopératives dans divers secteurs, etc. (Dembélé, 1999). Le sociologue Babacar Sall signale le cas des émigrés sénégalais résidant en Italie. « En janvier 1996, écrit-il, j’ai assisté au Sénégal à un événement significatif de ce phénomène. Il s’agit de l’électrification par les émigrés résidant en Italie de N’Diaye Tioro, village situé à 150 km de Dakar sur la nationale […] Des exemples de ce genre abondent en pays toucouleur et soninké. En effet, des points sanitaires, des écoles ou des bureaux de poste sont installés partout grâce à l’épargne émigrée ou aux solidarités endogènes. » (Sall, 1996 : 173.)

On sait aussi que l’émigration des travailleurs qualifiés et des professionnels draine généralement des richesses privées nationales dans le pays hôte. Dans le cas de l’Afrique subsaharienne, 34 % de ces richesses se trouveraient actuellement dans les pays d’accueil de ses diasporas (Meyer, Kaplan et Charum, 2001). Des politiques fiscales et monétaires incitatives, mises en vigueur par les États africains, pourraient inciter les diasporas à épargner dans leur pays d’origine. Bref, les Africains de la diaspora contribuent, pour une part non moins importante, à l’effort du développement du continent. Un récent document des Nations met en évidence l’importance de cet apport, en estimant qu’entre 1970 et 1995 :

[…] cet apport est passé d’environ 2 milliards de dollars US à plus de 70 milliards. Cette somme est de loin supérieure à l’aide publique au développement accordée à l’ensemble des pays du Tiers Monde. En outre, cet apport constitue la seule source de revenus pour beaucoup, dans les pays pauvres. Donc canaliser un tel apport dans des investissements productifs serait une contribution significative au progrès de ces pays. Dembélé, 2001 : 243.

Un courant de ces mouvements associatifs et des organisations de coopération internationale (OCI) développe des liens de solidarité avec des associations diasporiques pour appuyer la société civile et les partis d’opposition dans leurs luttes pour la démocratie et l’État de droit en Afrique. Au Québec (Canada), on peut citer, entre autres, l’exemple du Collectif pour la démocratie au Togo qui regroupe la Communauté togolaise au Canada (CTC), les OCI comme l’Association québécoise des organisations de coopération internationale (AQOCI), la Canadian University Solidarity Overseas (CUSO), le Centre international de solidarité internationale (CISO), mais aussi le mouvement syndical comme la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) Champlain et la Ligue des droits et libertés du Québec (LDLQ). En France, on peut citer l’association Survie.

Les diasporas africains et le domaine de la science et de la technologie

L’évolution prodigieuse de la science et le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) au cours des vingt dernières années, ont permis à certaines diasporas S&T de jouer un rôle important dans le développement et le renforcement des capacités scientifiques et technologiques de leur pays. On croit d’ailleurs que ce rôle ira en grandissant et modèlera l’avenir scientifique dans le monde. En effet, selon certains auteurs, les grandes mutations en cours dans le monde contemporain laissent voir que la répartition des savoirs, des pouvoirs économiques, politiques et militaires va dépendre « largement des migrations scientifiques et technologiques » (Portnoff, 1996 : 57). Si dans le passé les diasporas scientifiques ont joué un rôle dans l’évolution et la reconstruction scientifiques des pays d’accueil et des pays d’origine, le rôle actuel de la dispersion internationale scientifique apparaît encore plus important qu’on le croit (Halary, 1994). Bref, la science et la technologie sont les marques profondes des effets des migrations des savants, chercheurs et professeurs.

Historiquement, sinon ontologiquement, la science et la technologie se sont nourries des déplacements de ceux qui y ont contribué, que ces mouvements aient été entrepris pour mettre en commun des acquis, pour se poser en concurrent ou pour coopérer. On s’accorde en général à reconnaître que cette circulation internationale des personnes et compétences a des effets bénéfiques. Il s’avère qu’elle suscite un brassage d’idées et, en fin de compte une optimisation cognitive globale. Meyer, Kaplan et Charum, 2001 : 345.

Dans les années 1990, on comptait plus d’un million d’étudiants expatriés dans le monde. Parmi eux, on dénombrait 210 000 Européens de l’Ouest, 200 000 Africains, dont la moitié Maghrébins, 183 000 Orientaux (Moyen-Orient), 25 000 Américains, 40 000 Japonais, 3 300 Indiens, et 2 700 autres Asiatiques. Les données récentes basées sur des méthodologies et des sources différentes montrent que dans le contexte actuel de la mondialisation, il y a un nombre très élevé d’expatriés hautement qualifiés. On estime qu’environ un tiers (300 000) des diasporas scientifiques et technologiques (S&T) provenant des pays en développement travaillent dans le Nord. De plus, les recherches attestent que leur :

productivité scientifique et technique, mesurée en termes de publications et de brevets déposés, est bien supérieure sur leur lieu actuel de résidence qu’elle ne le serait dans leurs pays d’origine, où les conditions sont moins favorables. L’essentiel de la production scientifique et technique des gens originaires du Sud se situe donc en fait actuellement dans le Nord. Meyer, Kaplan et Charum, 2001 : 350.

Dans le contexte de la mondialisation, on peut créer un cadre juridique et politique qui permette aux pays d’origine de bénéficier des travaux de leurs diasporas S&T. Dans cette perspective, dans l’élaboration et la mise en oeuvre des programmes de coopération Nord-Sud, la production des diasporas S&T peut constituer une source potentielle du développement des pays d’origine. Deux mécanismes peuvent contribuer à cette réalité. Primo, le « retour de cerveaux » (ou « l’option-retour ») lorsque les conditions politiques et sociales le permettent. Secondo, « l’option diaspora » qui consiste à mettre sur pied des réseaux de mobilisation à distance et de reconnexion des chercheurs, des ingénieurs de la diaspora avec la communauté scientifique présente sur le territoire national. Le retour des compétences et les réseaux de reconnexion ont fait en sorte que l’on préfère aujourd’hui les termes de « mobilité », de « circulation » de migration ou d’« échange de cerveaux » à l’expression « exode des cerveaux » (Laplante, 2001). La coopération des diasporas (S&T) n’est pas nouvelle. L’histoire des sciences et des technologies montre des exemples de ce type de coopération, qu’il s’agisse d’initiatives individuelles ou de projets collectifs d’associations diasporiques S&T des universités hôtes d’Europe ou d’Amérique du Nord. De nos jours, la mondialisation a induit la « science-monde » qui permet la circulation des savants et des chercheurs à l’intérieur d’une communauté scientifique internationale.

Dans la première moitié des années 1970, les nouveaux pays industrialisés (NPI) du Sud-Est asiatique ont mis en place des politiques et des programmes visant la réinsertion systématique de leurs savants nationaux formés à l’étranger. À la fin de la même décennie, deux organisations internationales ont été créées pour financer des projets d’aide au retour dans leur pays d’origine des membres hautement qualifiés des diasporas. Ce sont l’Organisation internationale pour les migrants (OIM) et le programme Transfer of Knowledge Through Expatriate Nationals (TOKTEN). Ce dernier est administré par le programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Mais en Asie, ce sont, sans doute, Taïwan et la Corée du Sud qui ont mis en application les politiques de retour des compétences de façon plus volontariste. Une fois réalisés, ces retours contribuent effectivement au développement scientifique, technologique et industriel des pays d’origine.

C’est ce qui a été observé par exemple dans le cas de Taïwan, de Hong Konk et de Singapour où le retour de leurs expatriés scientifiques a fait augmenter de façon extraordinaire le nombre de publications scientifiques de haut niveau. Il en est de même dans le domaine industriel. Ainsi, en 1996, sur les 193 sociétés créées dans le cadre d’un parc industriel et scientifique à Taïwan (le parc Hsinchu, leader mondial dans le secteur des ordinateurs personnels et des circuits intégrés), 81 l’ont été par les scientifiques et les ingénieurs taïwanais de retour des États-Unis (Gaillard et Gaillard, 1998). On remarque aussi que les diasporas de retour favorisent l’internationalisation bénéfique des activités scientifiques et industrielles des pays d’origine. Les NTIC donnent donc une nouvelle configuration aux relations et aux échanges scientifiques entre les membres de la diaspora, d’une part, et avec la communauté scientifique du pays d’origine, d’autre part.

C’est ainsi qu’au cours des décennies 1980-1990 et 1990-2000, un nombre croissant d’initiatives ont été prises par plusieurs pays pour répertorier, mobiliser et reconnecter leurs diasporas scientifiques et technologiques (S&T) avec leurs collègues du territoire national. L’Inde fut le premier pays à mettre en place ce système. La réalité des diasporas S&T est fort complexe. Leurs formes et leurs modèles varient selon l’économie, la culture et le système sociopolitique des pays. Mais elles représentent un facteur potentiel de développement des pays dans le contexte de la mondialisation.

En Afrique, 23 000 diplômés émigreraient chaque année dans les pays du Nord et cette émigration coûterait environ 4 milliards de dollars US (Le Monde diplomatique, mars 2002 : 20). Malgré ce haut potentiel que représentent les diasporas S&T du continent, force est de constater que, sauf quelques projets de nouvelles politiques et expériences éparses, l’organisation formelle des diasporas S&T est très peu développée, sinon inexistante. Mais on doit souligner les efforts déployés par certains pays, comme le Ghana, l’Érythrée, la Tunisie et le Maroc, pour créer des projets de mobilisation et de reconnexion de leurs diasporas. Toutefois, ces projets n’ont pas donné lieu à des structures très formelles et institutionnelles. L’Université d’Asmana en Éthiopie, par exemple, a simplement effectué un répertoire et sollicité ses diasporas S&T installées aux États-Unis afin qu’elles apportent leur contribution au renforcement de la qualité de l’enseignement dans le pays d’origine. L’insertion des diasporas S&T dans le développement de l’Afrique reste donc un projet national et panafricain à approfondir, par des réflexions soutenues et une réappropriation des expériences des pays du Sud les plus avancés dans le domaine (les NPI de l’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine). Dans une Afrique où l’État postcolonial et ses institutions sont en déliquescence, si on veut sortir de la crise, il faut créer les conditions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles nécessaires pour mettre à profit tous les potentiels que représentent ses diasporas S&T, d’une part, et ses travailleurs, entrepreneurs, commerçants, artistes diasporiques, d’autre part[1]. Dans le premier cas,

les mutations démocratiques en cours en Afrique invitent à s’interroger sur cette catégorie d’acteurs dominants que constituent les intellectuels. Quand les dictatures y prennent un peu partout les masques de la démocratie, il convient de questionner leur savoir, leur pouvoir. Car, au-delà des structures institutionnelles[2], il y a tout simplement les hommes qui changent peu, ou pas fondamentalement, et avec lesquels il faudra inventer des espaces sociaux démocratiques : c’est un défi. Un nouveau défi pour l’Afrique. Toulabor, 1993 : 6.

Le rôle de la diaspora S&T africaine comme facteur de développement est reconnu dans le document du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, d’après l’acronyme anglais), élaboré par des chefs d’États africains et discuté au Sommet du G8 à Kananaskis, en Alberta, les 26 et 27 juin 2002. Ainsi, le programme d’action du NEPAD entend :

[…] promouvoir la coordination et la collaboration entre les experts des pays d’origines et ceux de la diaspora ; établir des réseaux scientifiques et techniques pour favoriser le rapatriement des connaissances scientifiques dans les pays d’origine et promouvoir la coopération entre les experts des pays d’origine et ceux de la diaspora ; veiller à ce que l’expertise des Africains installés dans les pays développés soit utilisée dans le cadre de l’exécution de certains des projets prévus dans le NEPAD. NEPAD, 2001:30.

Dans le second cas, il faudra soutenir et intensifier les expériences novatrices de partenariat et de solidarité internationale entre les associations diasporiques, les mouvements associatifs du Nord et les populations africaines pour la réalisation de projets d’économie sociale et de développement local. Les États africains « renaissants » doivent reconnaître et soutenir ces innovations. Ces initiatives peuvent compter aussi sur le soutien des institutions des Nations Unies, comme le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), l’Organisation internationale du travail (OIT), qui semblent plus réceptives aux projets d’économie sociale et solidaire (Favreau et Temblay, 2001). L’un des problèmes du développement de l’Afrique, c’est le « chaînon » manquant entre l’économie de subsistance et l’autre économie de marché. L’apport des Africains de la diaspora dans le tiers secteur pourrait établir progressivement le pont entre les espaces « micro-socioéconomiques » de survie et les espaces « macro-socioéconomiques » de mieux-être et de vie des populations, qui font face à la faillite du développement imposé par « le haut » et « le dehors » depuis une quarantaine d’années (Centre Tricontinental[3], 2001 ; Assogba, 2000).

Et si les africains de la diaspora étaient des acteurs de développement ?

La mise à contribution des diasporas dans le développement des pays d’origine est un phénomène fort complexe parce que polymorphique. Il est caractérisé par des asymétries entre le centre et les périphéries du système mondial. Il procède par des intermédiaires et des canaux de mobilité ou de circulation du capital humain, social et financier. L’apport diasporique met en relation au moins deux catégories d’acteurs sociaux : l’homo oeconomicus et l’homo donator. Enfin, comme tout phénomène, il peut engendrer des effets pervers négatifs et positifs[4]. Mais au-delà de sa complexité, ce qu’on peut appeler « l’effet diasporique » demeure un facteur potentiel de développement du pays d’origine. Dans cette perspective, la mondialisation peut représenter un grand atout. Mais actuellement, en ce qui concerne l’Afrique, force est de constater que de manière générale les associations des Africains de la diaspora ne sont pas reconnues comme des acteurs du développement par les États africains, les bailleurs de fonds du Nord et les ONG. Le problème fondamental étant la non-reconnaissance de leur statut juridique, elles ne peuvent bénéficier de moyens pour s’impliquer dans la coopération pour le développement. Ainsi, il n’est pas rare que des projets de solidarité internationale lancés par des associations diasporiques africaines ne soient pas reconnus et que celles-ci se voient ainsi le plus souvent mener des actions informelles. Certes, le récent document du NEPAD propose d’élaborer des politiques et d’établir des mesures juridiques afin que les diasporas S&T africaines contribuent au renforcement des capacités techno-scientifiques et au développement de l’Afrique. Mais le NEPAD ne précise pas le plan d’action pour réaliser un tel projet. « Cependant, il semble clairement établi que la coopération au développement ne peut plus se passer de leur implication »[5].

À la lumière des quelques éléments d’analyse ci-dessus invoqués, on peut tirer la conclusion suivante. Si l’Afrique exploitait les moyens financiers et humains de sa diaspora, elle pourrait trouver ses propres solutions à ses problèmes de développement et compenser ainsi l’amenuisement des ressources de l’aide qu’elle reçoit des pays du Nord et du commerce avec eux. Pour sortir de la crise quasi endémique qui semble la frapper, les dirigeants africains doivent en premier prendre conscience de ce fait et considérer l’apport de leur diaspora comme un aspect des alternatives, de l’aide extérieure au développement qui a endetté l’ensemble des pays du tiers monde. Par des politiques nationales et des lois du système bancaire, les pays africains peuvent attirer l’épargne des travailleurs africains de la diaspora. Cette épargne peut être canalisée dans des investissements productifs. Par ailleurs, des actions concrètes doivent être posées afin que les diasporas S&T apportent leur contribution au renforcement des capacités scientifiques et technologiques du continent. Dans cette perspective, des initiatives doivent être prises pour signer des accords de coopération dans ses domaines entre les pays africains et ceux du Nord. Pour leur part, les mouvements associatifs, les syndicats et les entreprises du tiers secteur des pays hôtes du Nord peuvent former des collectifs avec les organisations des diasporas africaines pour créer en partenariat des projets de développement local en Afrique et dans les pays d’accueil. Cependant, pour être en mesure de tirer profit de l’apport de ses diasporas comme acteurs de développement, l’Afrique doit faire deux révolutions : 1) trouver ses fondements en puisant dans l’inventivité des hommes et femmes émigrés ; 2) remettre en question sa position périphérique dans le système mondial en s’insérant dans les mouvements associatifs, au Sud et au Nord, qui luttent pour une mondialisation à visage humain.

Yao Assogba
Département de travail social
Université du Québec en Outaouais

Publié le 06 janvier 2020
Source: Erudit


Notes
[1]« Et si l’Afrique refusait le marché ? » Alternatives Sud, Vol. VIII, no 3, 2001. Lire aussi « Culture et mondialisation. Résistance et alternatives », Alternatives Sud, Vol. VII, no 3, 2000.
[2]On doit arrêter impérativement la déliquescence des universités en Afrique. À cet égard, lire Aghali Abdelkader, « En Afrique, l’enseignement supérieur sacrifié », Le Monde diplomatique, no 576, mars 2002, p. 20. Dans le même numéro, lire aussi Jean-Christophe Servant, « Les universités négérianes en déshérence », 20-21.
[3]Centre Tricontinental, « Et si l’Afrique refusait le marché », Alternatives Sud, Vol. VIII, 2001, no 3.
[4]Charles Condamines, « Migrations et coopérations internationales : intégration ou exclusion », Politique Africaine, no 71, octobre 1998, 75-90.
[5]Fabienne Braive, « Migrations, migrants et développement, affaire compatible », Défis Sud, no 51, mars-avril, 2002, p. 17.

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