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Zone de libre échange en Afrique: mais pour échanger quoi?

Les rêves secrets d’un célibataire dans un club échangiste…

Lors d’un sommet de l’Union africaine le dimanche 7 juillet dernier, les pays membres ont célébré avec faste l’entrée en vigueur d’une Zone de libre-échange continentale africaine (ZLEC) qui aurait pour ambition de favoriser le développement économique du continent. Quelques semaines plus tard, des populations excitées d’Afrique du Sud appelaient à l’expulsion de compatriotes non moins africains, mais considérés allochtones. Cherchez l’erreur…

Les questions posées par les afrologues sont relatives à :

  1. La réalité des frontières avec le poids politique et économique des métropoles ;
  2. L’objet (les produits) de ces échanges, étant donné que le continent (à l’exception de quelques rares Etats) importe tous ses biens de consommation ;
  3. L’agent de ces échanges, gangrené par un manque chronique de formation et de machines outils.

Pour Afrology la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlec) reste un vœu pieux qui soulève des questions de fond sur la réelle intention de collaboration entre les pays du continent.

Les préalables sont tellement évidents et si peu évoqués qu’il y a des raisons de douter de la bonne foi de ces dirigeants…

Des sous-infrastructures coloniales à l’intérieur de frontières héritées

La partition de l’Afrique et la définition des frontières ont été des actes arbitraires, imposés par les Européens sans considération pour les conditions locales [1]. L’ « uti possidetis juris » (locution provenant de la phrase uti possidetis, ita possideatis) s’impose à l’Afrique et arrange aujourd’hui des dirigeants très souvent mal-élus. “Vous posséderez ce que vous possédiez déjà” proclame la fameuse doctrine latine. Le dictateur en poste depuis les années 19XX, et candidat à sa propre succession, ne demande pas mieux.

L’union africaine qui pose l’intangibilité des frontières comme une base de sa constitution, s’arroge aujourd’hui le droit de les contourner pour constituer un marché potentiel pour les échanges sans vouloir se prononcer sur la question du Sahara, de la Mauritanie, de la Lybie. Ne faudrait-il pas d’abord penser la citoyenneté africaine ou la circulation des personnes au sein de ces prisons artificielles ?

Comme corolaire à ce facteur bloquant, le continent n’a pas encore d’infrastructure de communication ni de télécommunication valable par-delà lesdites frontières. Pour envoyer une offre de prix à un client nigérian, le malien doit passer par les serveurs américains ou français, lorsque la connexion internet le permet (les câbles sous-marins appartiennent à Google et Alcatel). Quand la relation est enfin établie, autorisée par Hotmail ou Yahoo, ils doivent ensuite s’appuyer sur des transporteurs grecs ou chinois pour le cargo avant de confier l’ensemble de la logistique au français Bolloré. Toute l’opération se passe sous le regard discret et « bienveillant » du Mossad et du fantôme du KGB.

Absence d’industries

La question centrale, reprise par de nombreux analystes reste relative à l’objet des échanges, lorsqu’on sait que l’Afrique ne transforme rien. Échanger le bois brut du Gabon contre le pétrole non moins brut du Nigeria ne va pas encore contribuer à l’enrichissement mutuel ni à la création de valeur.

On se demande encore, plus de 50 ans après sa création, ce que fait réellement l’ONUDI sur le continent africain. L’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI) est en théorie une agence spécialisée de l’ONU censée aider au développement industriel de ses pays membres ainsi que de conseiller et accompagner les pays en voie de développement dans l’élaboration de politiques industrielles, la création de nouvelles industries ou l’amélioration d’industries existantes. Elle a été créée en 1966 sans aucun résultat concret à ce jour, personne n’ose encore parler de faillite. On met en place des structures pour gérer l’industrie et les règles du commerce international sans tenir compte du continent africain.

On pourrait se réjouir, 60 ans après les indépendances, de la création de ce marché de dupes si seulement le Cameroun savait transformer le Coltan de son frère congolais.  Dans une Afrique complètement hétérogène, il faut craindre, au moment de l’ouverture de ce marché intérieur, un déséquilibre économique important, à l’avantage des rares producteurs comme le Nigéria et l’Afrique du Sud. Le jour où le Nigéria déverse son ciment sur le territoire togolais aux conditions équitables du marché, une société locale comme CIMTOGO ferme ses portes. Notre confrère Kako Nubukpo évoque à raison le principe de protectionnisme pour tenter de « couver » les industries en gestation [2].

Cadre juridique balkanisé

Pour Melaku Desta, consultant indépendant auprès de la Commission de l’Union africaine, ce coup d’accélérateur résulte en partie d’une prise de conscience des dirigeants africains, inquiets d’être « les grands perdants de l’échec du processus multilatéral » [3]. En marge des négociations du cycle de Doha, menées au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), un certain nombre d’accords régionaux ont en effet commencé à se négocier :

  • l’Europe et les États-Unis parlent d’un traité de libre-échange transatlantique,
  • traité de libre-échange entre le Marché commun de l’Amérique du Sud et l’Union européenne
  • accord de libre-échange entre l’Angleterre et Séoul…

Mais alors, dans la future Zlec, quelle sera la loi dominante ? Celle du marché international qui exclut l’Afrique (OMC-ONUDI), celle des zones privilégiées d’échange (ACP/UE), ou celle, non encore inventée, d’une Afrique soudain souveraine ? Dans une interview récente sur une radio internationale, Kako Nubukpo évoque le sujet en parlant de l’absence de « mécanisme crédible de sanction » [4]. La nature ayant une sainte horreur du vide, il semble évident que les africains auront encore à subir, au sein de la ZLEC, le diktat du marché international.

Au-delà de la sanction, il faut organiser tout le cadre légal et les standards ; une œuvre titanesque dans un espace où chacun s’accroche à ses langues, sa monnaie coloniale, son organisation politique interne avec son lot de brimades et de violences quotidiennes. L’Afrique est aujourd’hui le continent le plus fragmenté au monde avec plusieurs communautés économiques (sous)-régionales. Il n’existe aucune harmonie au niveau du droit, le plus dramatique étant le droit de propriété avec par exemple un droit foncier particulier pour chacun des pays.

Les intérêts cachés

L’Europe attire près de près de 70 % du commerce africain contre seulement 16 % entre pays du continent. L’UE propose déjà un don de 40 milliards d’euros en échange de ce rapport privilégié. Faut-il s’en réjouir ? On voit aujourd’hui les conséquences de ce type de partenariat sur le géant chinois Huawei, totalement sous pression des États-Unis et Google.

La Chine n’est pas en reste, avec ses investissements massifs et contre nature dans les États de la future zone. Il est clair que de nombreuses résistances vont tomber quand la machine socio-politique va se mettre en branle. La chair africaine est si fragile que quelques billets de banque bien placés suffisent à faire tomber les tabous les plus ancrés.

Sera-t-il nécessaire d’aller aussi loin, lorsqu’on sait que des accords bilatéraux, certaines fois secrets, lient la plupart de ces prétendus Etats à leurs métropoles d’hier ? Que dire des contrats en cours, notamment avec la Chine et des contrats qui lient les pays africains pour quelques décennies ? Que faire de ces territoires immenses acquis (directement ou non) par les industries chinoises et américaines ?

La question des ressources humaines

L’Afrique (surtout dans sa partie francophone) doute de ses propres fils, craignant une hypothétique compétition politique. Elle appuie donc ses études et ses analyses sur des consultants étrangers, souvent occidentaux. Nous allons bientôt assister à un déferlement de ces cols blancs pour élaborer un cadre de fonctionnement pour la future ZLEC. Ce faisant, le loup rentre dans la bergerie dans l’intérêt bien compris de son maître.

Sur place, pendant ce temps, le douanier ouest africain vit de la surfacturation et des trafics sur les frontières, ports et aéroports. Ceci est en partie lié à l’absence de conscience professionnelle, mais aussi et surtout au salaire dérisoire d’application dans certains milieux. La communauté d’échange passe aussi par une harmonisation des rémunérations.

Enfin, dans sa mise en route et pour son fonctionnement interne mais aussi pour le développement des parties prenantes, l’Afrique doit d’abord et avant tout pouvoir compter sur du personnel formé et capable de suivre la demande. L’ouverture du marché ne va certainement pas rimer avec l’augmentation de la production pour un fermier qui ne dispose pas des outils ni des subventions pour son activité. Le producteur africain doit également être initié aux pratiques en vigueur chez le voisin pour adapter la transformation à la demande ; or, la formation et la mobilité ne sont pas encore à l’ordre du jour dans le projet.

Conclusion

Selon la Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique, le commerce intra-africain pourrait augmenter de plus de 50 % en volume et même doubler environ dix ans après l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange continentale (ZLEC). Ne faut-il pas poser la bonne gouvernance comme préalable à la ZLEC ? Si les recettes de ces excédents sont, comme d’habitude, détournées et placées en Asie et en Suisse, comment alors financer la révolution industrielle tant attendue ?

La sur-centralisation de l’économie dans certains pays est d’ailleurs un premier frein à ce projet. L’Etat-banane acceptera-t-il de céder son droit sur les accises et les prix des produits de base ? Le dictateur (père et fils) va-t-il abandonner une part de son pouvoir à une ZLEC ?

Après de nombreux projets menés, suivis et évalués sur le territoire africain, devant la mauvaise foi et l’incompétence d’une certaine autorité locale, nous émettons des réserves quant à la réussite de la ZLEC dans sa forme actuelle…

A suivre.

Bruxelles, le 22 septembre 2019

Ablam Ahadji


Notes.

  1. Ladji OUATTARA, le 12 mars 2015 – Copyright Mars 2015-Ouattara/Diploweb.com
  2. Kako Nubukpo – Interview France 24: https://www.france24.com/fr/2019-09-17-1644-lentretien-lintelligence-economique-afrique-liberalisme-protectionnisme-croissance
  3. Melaku Desta in LeMonde Afrique https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/07/07/zone-de-libre-echange-africaine-ratifier-un-tel-accord-en-quatre-ans-est-remarquable_5486558_3212.html
  4. Ibid point 2