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Mémoire d’esclaves

Inscrite à l’agenda de l’UNESCO en 2004, la Journée Internationale du Souvenir de la Traite Négrière et de son Abolition (JISTNA) est célébrée le 23...

La banque de demain…

Afrology a lancé en 2020 un projet de création d’une banque d’épargne et d’investissement. La Banque de demain regroupe des africains de la diaspora répartis...

Camarade Papa, de Gauz

L’Association des écrivains de langue française a décerné le Grand Prix Littéraire d’Afrique noire 2019 à Armand Gauz après avoir salué la carrière d’écrivains comme Ahmadou Kourouma (90, Côte d’Ivoire) ou encore Léopold Sédar Senghor (96, Sénégal).

Armand Patrick Gbaka-Brédé , dit Gauz – Né le : 22/03/1971

Gauz est le nom de plume d’Armand Patrick Gbaka-Brédé, né à Abidjan, Côte d’Ivoire, en 1971. Après une maîtrise de biochimie, il s’inscrit à l’université de Jussieu et débarque à Paris avec un visa de tourisme de trois mois. D’abord “étudiant sans papiers”, il a ensuite été tour à tour agent de sécurité, scénariste et dialoguiste, reporter photo et vidéo ou directeur d’un journal économique satirique en Côte d’Ivoire. Salué par la presse, les libraires et les lecteurs, Debout-Payé a reçu le prix des libraires Gibert Joseph 2014 et a été élu meilleur premier roman français 2014 par le magazine Lire.

Photographe, scénariste, rédacteur en chef d’un journal économique satirique ivoirien, il est l’auteur d’un roman Debout-Payé, publié à Paris en 2014, aux éditions Le Nouvel Attila. Ce roman est salué par la critique, notamment pour la qualité de son style d’écriture, de ses satires sociales, et de son humour. L’ouvrage est le premier lauréat d’un nouveau prix : le Prix des libraires Gibert Joseph

Camarade Papa

C’est pour le roman, Camarade Papa, publié au Nouvel Attila lors de la rentrée littéraire de septembre que l’écrivain originaire d’Abidjan a été retenu.

Jeune Blanc au pays des Noirs, petit Noir au pays des Blancs. Intrus, étrangers, à la conquête du monde. Camarade Papa nous parle de la folie des grandeurs, de colonialisme, de communisme, et de leurs humbles serviteurs.

1830. Un jeune homme, Dabilly, fuit la France et une carrière toute tracée à l’usine pour tenter l’aventure coloniale en Afrique. Dans une « Côte de l’Ivoire » désertée par l’armée française, quelques dirigeants de maisons de commerce négocient avec les tribus pour faire fructifier les échanges et établir de nouveaux comptoirs. Sur les pas de Dabilly, on découvre une terre presque inexplorée, ses légendes, ses pactes et ses rituels…

Un siècle plus tard, à Amsterdam, un gamin d’origine africaine raconte le monde postcolonial avec le vocabulaire de ses parents communistes. Lorsque ceux-ci l’envoient retrouver sa grand-mère et ses racines en Afrique, il croise les traces et les archives de son ancêtre. Ces deux regards, celui du blanc sur l’Afrique et celui du noir sur l’Europe, offrent une histoire de la colonisation comme on ne l’a jamais lue.

Critique de Clémence Holstein – 10.10.2018

Dans Camarade Papa, Gauz embarque ses deux héros dans leur mission respective, mission qui décidera de leur vie. Un petit garçon noir d’aujourd’hui en Europe de l’Ouest, élevé dans l’idéologie communiste sans bornes de son Camarade Papa, et envoyé pour diffuser la bonne parole loin de son foyer. Un jeune Français provincial de la fin du XIXe siècle, étranglé par l’étroitesse de sa province, parti en Afrique de l’Ouest découvrir un autre monde. Les deux paroles alternent, entre Dabilly et l’enfant mystérieusement nommé.

L’on suit Dabilly dans ses expéditions de colonisation et l’on découvre avec lui le fonctionnement de la chose, les avancées, les marches pendant des jours, la nature, les maladies, et surtout les gens qui l’accueillent et qu’il chérit bien vite. L’atmosphère absolument particulière l’attire sans retour possible. C’est ici une forme d’Histoire de la colonisation, de l’intérieur, que Gauz nous donne à lire et qui ouvre l’horizon de la construction de la colonisation et non de ses conséquences que nous connaissons bien. C’est donc un tout autre point de vue, en amont de la prise de pouvoir des pays européens sur l’Afrique, et non selon un point de vue seulement politique mais aussi humain. Et les choses se révèlent bien plus complexes que l’on pourrait avoir envie de croire.

La narration est construite avec un recul et une distance toujours prégnants. La distance est géographique, historique et surtout culturelle. Les deux univers, celui de l’enfant au nom qu’on ne prononce pas et celui de Dabilly nous sont contés. En tant que lecteurs, nous n’y avons pas de place. Les règles sont posées d’emblée. Le langage le dit. L’évanescence des mondes le répète. Nos repères volent en éclats. L’incompréhension est de mise. Elle est peut-être même le sujet de ce Camarade Papa. Avec la folie humaine et le loufoque de ses entreprises, parfois fatales.

Nous disions que le lecteur n’est pas invité à entrer dans ces univers ; il est plutôt invité à observer et réfléchir son acte de lecture. Il est prié d’en rester à la lisière. Et la lisière, la frontière, le fil du funambule sont des jeux à accepter pour suivre Gauz dans son récit.

Que la lecture soit exigeante, il n’y a pas de doute. Qu’elle en vaille la peine, cela ne fait pas un pli. Le livre refermé, pas sûr que l’on est tout entendu, derrière les mots et les résonances. Mais qu’à cela ne tienne ! Relisons-le !

Il est absolument nécessaire de s’arrêter un instant sur la langue et la forme de ce roman. En effet, tout ce dont nous venons de parler est principalement véhiculé par un usage très personnel de la langue. D’emblée, Gauz nous séduit. Non. C’est son écriture qui séduit. Pas ses phrases, leurs volutes ou ses chapitres joliment construits. Ce sont les mots. Toutes les armes de séduction sont de sortie et la recette de l’auteur est une réussite. La langue est flamboyante, hors normes, faussement naïve pour justifier sa provocation, elle brise les mots, joue les sons. Et elle est en même temps ou par là même (la complexité de ce style reste entier à étudier) poétique, tendre, douce, douce comme les deux héros qui brisent les cadres et demeurent d’une douceur désarmante.

Cette langue est aussi celle de l’incongru, de ces fameux loufoque et folie des hommes. Elle nous fait rire, les yeux écarquillés d’émerveillement. On rit d’une beauté. On ne se pâme pas. On ne hoche pas la tête en académicien de fortune. On rit franchement après un moment interdit et les frissons du beau s’y joignent. Incongru donc.

Lisez, accrochez-vous au bastingage, goûtez cette langue et cette tendresse dans la violence de la vie.

Gauz – Camarade Papa – Editions Le Nouvel Attila – 9782371000230 – 19€