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Exil et migrations

Cahier d’une més-aventure africaine

Le 17 juin 1940, Charles de Gaulle part à Londres afin de poursuivre la guerre. Quelques décennies  plus tard, fin 1980, des étrangers pouvaient être maintenus dans des espaces frontaliers portuaires ou aéroportuaires, sans qu’aucun texte légal n’autorise cette forme de détention provisoire. Au sein des aéroports parisiens, notamment l’aéroport Charles De Gaulle à Roissy, ces situations vont attirer l’attention de voyageurs qui vont contacter des associations de défense des droits de l’homme dans la perspective d’actions communes. 

A force de compter, on en finit par oublier quelques figures illustres de l’histoire de l’immigration à qui il convient ici de rendre hommage. Les auteurs modernes évitent de parler de migrant pour un exil réussi ; de Gaulle, hier héros de la France libre, aujourd’hui symbole du rejet.

Urgence d’une clarification conceptuelle

S’il n’existe pas de définition juridiquement reconnue pour le terme « migrant », les Nations Unies vont l’associer à « toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer ». A ce titre de Gaule et Sigmund Freud sont migrants au même titre que Kofi Anan ou Bob Marley, et ce, bien avant Mamoudou Gassama en France. Mais pourquoi dès lors le qualificatif de migrant (souvent accompagné de « sans papiers ») est-il alors attribué en priorité à une certaine vague ?

Ce qui interroge dans cette affaire, c’est l’utilisation du mot “migrants”. Il est de fraîche date: sa naissance remonte aux débuts de la tragédie syrienne. Auparavant, on disait simplement “immigrés”. Un immigré était quelqu’un qui quittait sa terre pour s’installer dans un pays étranger. Pour son pays d’origine il était un émigré [1].

L’Européen qui décide de s’installer en Afrique est souvent considéré comme un « expatrié » et on ne s’inquiète même pas de savoir s’il a des documents de séjour ; il va de soi qu’il suffit d’aller les demander (Matthieu 7:7 – nous ont-ils enseigné). On imagine pourtant mal le chanteur Fela Anikolapo Kuti clamer dans un afrobeat puissant dans les rues de Boston à la suite de Sting : I’m a Nigerian in New York… il risquerait de se faire lyncher.

Le malaise le plus profond réside selon nous dans cette requalification, certes péjorative, mais surtout unilatérale de l’individu ou du groupe d’individus. A l’instar des Lawson-Johnson-Wilson, descendants d’esclaves qui ont perdu leurs patronymes, le migrant (l’extra-occidental) perd ses repères en débarquant dans un port en Italie. Aucun candidat à l’exil ne quitte son pays en se disant migrant… En Afrique de l’Ouest, le dégoûté dira à sa famille qu’il part à l’aventure. Il se dit aventurier, à l’exemple de ces nombreux occidentaux qui ont envahi l’Amérique pour se convertir en cowboys conquérants et dont personne, jamais, n’osera parler comme migrants…

Dans sa définition, pourtant, le dictionnaire Larousse assimile la migration au « Déplacement volontaire d’individus ou de populations d’un pays dans un autre ou d’une région dans une autre, pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». Si la raison économique est un des éléments du contexte « migrants », pourquoi a-t-il alors fallu un vocable différent pour ceux que nous appelons pompeusement les « coopérants », les « expatriés » ? Les finalités sont les mêmes, mais la qualification est différente.

La migration choisie, une solution ?

L’explication la plus évidente est que l’exilé ou l’immigré qui dérange devient un migrant; la forme contient une promesse de mouvement, comme un boomerang. Le pays de débarquement n’a pas d’obligation d’accueil; le migrant semble être de passage. « Il y a trop d’immigration en France et aujourd’hui, nos capacités d’intégration sont saturées ». C’est une déclaration de Laurent Wauquiez dimanche 26 août 2018 devant ses fidèles, 1.500 militants et une cinquantaine de parlementaires, à sa rentrée politique, près du Puy-en-Velay avant la traditionnelle ascension du mont Mézenc [2]. Loin d’être une simple boutade, la déclaration résume, sans vraiment s’en rendre compte, une des aberrations du système. Elle répond en effet à la question : Peut-on être africain migrant et légal ? Pour résider en effet pendant plus d’une année sur un continent étranger, l’africain doit « mériter » son visa.

La première ministre britannique Theresa May va élargir le concept, déclarant le 2 octobre 2018 qu’après le Brexit, et à l’issue de la période de transition qui court jusqu’au 31 décembre 2020, le Royaume-Uni supprimera « une fois pour toutes » la libre circulation des Européens et instaurera « un système d’immigration basé sur la compétence des travailleurs, et non sur leurs origines ». [3]

En totale contradiction, le 17 février 1894 déjà, Jean Jaurès, dans son fameux discours “Pour un socialisme douanier”, déclarait : “Ce que nous ne voulons pas, c’est que le capital international aille chercher la main-d’œuvre sur les marchés où elle est la plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français, et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas. C’est en ce sens, et en ce sens seulement, que nous voulons protéger la main-d’œuvre française contre la main-d’œuvre étrangère, non pas je le répète, par un exclusivisme chauvin mais pour substituer l’internationale du bien-être à l’internationale de la misère.”… [4]

La migration choisie a, par ailleurs, été expérimentée avec l’Afrique il y a quelques siècles pendant les expéditions organisées pour déplacer des jeunes dans la force de l’âge vers les champs de coton. Malgré la sélection des « volontaires » migrants, le résultat visible encore aujourd’hui est le statu quo autour du Ku Klux Klan.

L’Afrique, un continent à part

Le continent africain, à l’image de certains de ses dirigeants sans grande capacité d’analyse, peine à s’imposer sur le marché global. A l’instar de ses populations en exil définies comme des groupes de migrants, ses langues sont qualifiées de dialectes et ses groupes sociaux de tribus ou, mieux encore, d’ethnies.

Il est intéressant à plus d’un titre de lire le parcours d’un africain qui fuit son pays pour l’aventure, débarque aux portes de l’Europe comme esclave et candidat à l’exil, est recueilli sur une barque à la dérive comme migrant déclaré « sans-papiers »…

L’africain moderne est devenu un caméléon de la société moderne. On remarquera toutefois qu’il y a une légère évolution ; quelques siècles auparavant, il restait figé au stade d’esclave. L’espoir est donc encore permis ; en attendant, mes bien chers frères, migrons…

I don’t take coffee, I take water, my dear
I like my toast done on any side
And you can hear it in my voice when I cry
I’m an African in migration…[5]

Bruxelles, le 14 octovre 2018
Gustav Ahadji

 


Notes:

  1. Source: http://www.atlantico.fr/decryptage/comment-substitution-mot-migrant-au-mot-immigre-permet-desormais-contester-existence-meme-crise-migratoire-benoit-rayski-3437160.html#EHCHZh0oQeIy7ykX.99
  2. Source: http://www.europe1.fr/politique/wauquiez-lr-limmigration-de-masse-une-menace-culturelle-pour-la-civilisation-europeenne-3740513
  3. Source: https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Brexit
  4. Lire: https://www.initiative-communiste.fr/articles/prcf/migrations-pour-une-position-internationaliste-responsable/
  5. Ref à Sting in “Englishman in New York”