LES DOSSIERS

Cinq siècles de mondialisation…

Source : Chérif Salif SY

Cinq siècles de mondialisation :
Repères historiques, Tendances et Conséquences ?

Introduction

Dans cette communication, nous essayons de montrer comment le développement des pays du Sud et celui des pays développés font partie d’un processus historique simultané, et sont reliés fonctionnellement et se conditionnent mutuellement. Le comportement des uns et des autres, dans ce cas, ne devenant intelligible que par rapport à la structure et au fonctionnement du système global. Cependant qui dit système, dit nécessairement complémentarités et contradictions provisoirement stabilisées ainsi qu’une participation à part entière à la gouvernance de la mondialisation.

Le petit Robert définit la mondialisation comme “le fait de devenir mondial, de se répandre dans le monde entier”. Des débats et discussions de plus en plus vifs depuis le début des années 80, il ressort deux interrogations : se répand-on dans le monde entier, s’externalise-t-on pour fonder la croissance de son économie ou de ses affaires sur la conquête des marchés extérieurs ? Faut-il subir ou percevoir la mondialisation comme une menace ?

Ces deux questions font dire, que, saisir la mondialisation et son développement historique, c’est aussi déterminer ce qui reste de l’autonomie des politiques nationales et la façon dont on doit restituer les capacités autonomes des peuples.

Tenter de comprendre la “mondialisation de l’économie” est, ce faisant, la meilleure aide pour définir une politique, qu’elle soit globale ou sectorielle, comme par exemple, la définition d’une politique de développement et de promotion de la science et de la technologie, dans la mesure où l’environnement international est caractérisé par l’organisation de grands espaces régionaux qui cherchent à faire de tout, un produit et à accaparer au maximum les flux de capitaux dans le commerce et l’investissement.

Il importe donc, sur le plan méthodologique, de retenir dans la définition des politiques, la combinaison d’une vision globale du monde, avec des approches sectorielles. C’est-à-dire une appréciation de l’économie dans ses aspects mondial, multinational, macro-régional, régional, local et national. Le rétrécissement symbolique et le rétrécissement spatial du Monde nous y obligent.

L’aspect régional local ou national, permet de situer le développement dans son contexte juridique économique et social, de saisir la diversité des problématiques et les degrés d’adaptation des mesures mises en œuvre. L’aspect mondial et multinational permet de cerner l’unicité d’un système économique mondial.

Affirmer cependant, l’internationalisation de l’économie, est une évidence banale. Ce qui importe le plus, c’est de relever que, par rapport aux mouvements d’internationalisation du passé lointain et surtout du 18e, 19e et 20e siècle, les mouvements actuels se différencient par leur caractère global et leur complexité.

C’est ainsi que la croissance s’est imposée comme fin première pour tous les pays du monde, entraînant des modifications dans les relations internationales qui affectent l’activité de chaque pays, mais, au lieu de mettre d’avantage en évidence les spécificités existantes, elles introduisent une nouvelle division internationale du travail (D.I.T) par rapport à laquelle se définissait le redéploiement de l’industrie Mondiale, ainsi que les nouvelles orientations des politiques d’industrialisation nationale.

Mais, ne nous y trompons pas, le système mondial, tel qu’il fonctionne, est hiérarchisé. Nous dirons qu’il est intégrant et marginalisant, c’est pourquoi il est nécessaire qu’il existe au niveau mondial un minimum de solidarité, de règles et une autorité acceptée.

L’idée d’un village planétaire est trompeuse dans une très large mesure. La Banque Mondiale, dans un de ses rapports, parlant de la Mondialisation considérant que les inégalités ont reculé avec elle, admet tout de même que 78% de la population mondiale est pauvre, 11% appartient aux classes moyenne et 11% sont riches. Les résultats sont plus décevants en réalité car :

  • Les pays du Sud ne participent pas à la définition des politiques mondiales,
  • la croissance va augmente plus vite que la réduction de la pauvreté;
  • l’essentiel de la baisse de la pauvreté est le fait de la Chine alors qu’elle gagne du terrain en Afrique;
  • en Inde ce sont les classes aisées (la Shining India) qui confisque les nouvelles richesses crées;
  • l’aide représente moins de 3% du PIB des pays pauvre.

En somme, la Mondialisation de l’économie n’est pas mondiale, elle car beaucoup de peuples du monde sont en marge du processus. Comme disait F. Braudel “il existe d’innombrables puits qui sont hors du temps du monde”. Elle n’est pas libérale non plus parce que les pays riches, malgré les dispositions de l’OMC en faveur du démantèlement des obstacles tarifaires et non tarifaires, multiplient les barrières dans tous les secteurs où les produits des pays du Sud disposent d’un avantage comparatif.

Dans les chapitres suivants, nous allons montrer quelques aspects de la nouvelle mondialisation de l’économie, mais en commençant par un aperçu historique.

1. Le réajustement du système économique mondial

La mondialisation de l’économie n’est pas un phénomène nouveau. Elle a débuté lorsque, chaque matin en se levant, les marchants se sont mis à rechercher de nouveaux marchés, c’est à dire donc, depuis l’aube des temps. Mais son développement contemporain est surtout lié à celui du capitalisme. C’est pourquoi, depuis le moyen âge, depuis Christophe COLOMB et Vasco de GAMMA, depuis le “marché de tout l’univers” de SISMONDI et le «marché mondial” de MARX, les marchands ont toujours poussé à une ouverture de plus en plus grande des marchés.

A travers l’histoire, d’ailleurs, si l’on considère le développement du Capitalisme, on peut lui reconnaître trois grandes caractéristiques :

1- Sa dynamique non linéaire- Croissance, dépression, découverte de l’Amérique, colonisation, recherche effrénée de débouchés…

2- La dynamique de l’offre (biens et services, amélioration des équipements, fordisme, économies d’échelle, concentration…)

3- L’ouverture des marchés et l’extension à des territoires nouveaux de l’activité marchande.

Cette évolution s’est appuyée sur deux leviers essentiels :

a) les innovations et les progrès techniques ; surtout dans les moyens de communication et dans la production.

b) le renforcement de l’autorité de l’État (par exemple l’église interdit la guerre) et l’établissement de relations d’échanges de services avec l’État, même si la mondialisation, c’est aussi pour le capital un moyen de s’abstraire des règles que lui impose l’État sur un territoire donné.

Mais, l’établissement de relations économiques régulières et répétées suppose la paix, et leur extension à de nouveaux espaces passe souvent par la violence et la guerre, ou par d’autre moyens de domination dans les finances, l’industrie, le commerce… ;

C’est ainsi que, selon les caractéristiques dominantes de l’époque, la mondialisation de l’économie a eu une appellation différente : de la croisade de Charlemagne pour l’occidentalisation des marchés orientaux de l’Europe de l’ouest, on est passé à l’impérialisme colonial avec le règne des 3 M : militaires, missionnaires et marchants. Ce fut ensuite l’ère de l’Économie-Monde, (exploit scientifique des 18 et 19ème siècle), de l’Économie Internationalisée et depuis les années 1970 l’on parle de la Mondialisation.

2. Les caractéristiques de la mondialisation

Qu’est ce que la Mondialisation de l’Économie?

Selon l’historien de l’Économie Philippe Norel [1], “la Mondialisation, c’est l’extension à la Planète, depuis l’Europe, du Marché des biens, des services et des capitaux ainsi que les mouvements de la population ; ce processus s’accompagne de la progression de la régulation marchande et de la transformation des sociétés en fonction des impératifs du Marché.”

Cette définition fait ressortir plusieurs choses :

  • La mondialisation n’est pas seulement l’expansion des échanges des biens économiques;
    En effet, le taux d’ouverture des principales économies est passé de 5,5% en 1830 à 12% en 1913 en valeur alors qu’entre 1950 et 1990 taux de croissance du commerce international est passé de 2,5% à 4% seulement.
  • La mondialisation n’est pas non plus l’expansion des marchés de capitaux. Nous savons que l’investissement direct étranger était intense en 1850 et que les investissements de portefeuille dans la même période on connu une expansion spectaculaire.

C’est donc la 2ème partie de notre définition qui indique mieux les traits qui permettent de définir la Mondialisation en cours.

La 1ère nouveauté c’est le développement inédit des firmes-réseaux.
Le 2ème trait caractéristique en est la globalisation financière.
Le 3ème élément consiste dans la Régulation.

En réalité il n’y a pas de gouvernement de la Mondialisation encore moins de gouvernance de la Mondialisation (voir les études sur la crise actuelle). Il était plutôt question de dessaisir l’État providence de ses fonctions de souveraineté :

  • Régulation du marché;
  • Régulation de l’activité économique (mission de stabilisation);
  • Régulation sociopolitique (médiation pour créer l’harmonie et le consentement).

Et donc mettre en place les politiques de libéralisation à travers les principales dispositions que sont :

  • Le décloisonnement des frontières;
  • La déréglementation;
  • La désintermédiation. [2]

La mondialisation que nous appelons quelques fois “nouvelle mondialisation” n’est rien d’autre que l’évolution du marché. Elle a débuté dans sa forme actuelle après la seconde guerre mondiale, avec le développement des entreprises multinationales dont l’intégration interne se réalise par le biais de transactions entre éléments de la même entreprise, afin d’accroître la rentabilité. Il ne faut pas non plus confondre la Mondialisation et l’Internationalisation qui, elle, signifie que ce sont les Économies nationales qui sont les entités les plus significatives puisque les gains réalisés à l’étranger ou bien sur l’étranger sont drainés vers l’économie nationale.

A tous ces phénomènes se greffent un nouveau : l’interpénétration économique au travers des frontières, dans la production, la commercialisation, le financement et la recherche-développement.

En d’autres termes, ils émergent des entreprises qui distribuent leurs activités industrielles et financières au niveau international, avec comme résultat, une progression du commerce international, des flux de capitaux et de l’investissement, plus rapide que la production. Par exemple :

Années                       1960 à 1970 1980 à 1990 1992
Commerce, capitaux et investissements 8,3 % 3,7 % 4, 7 %.
Production 5,3 % 2 ,8 % 1 %

On peut noter par ailleurs que rien qu’entre 1990 et 1995, le commerce mondial a été multiplié par cinq. Au niveau du PIB mondial, il représente plus de 25 %, contre 7 % il y a cinquante ans. Les flux de capitaux à destination des pays sous développés sont passés, entre 1990 et 1996, de 100 milliards à 284 milliards US$. Mais l’origine des fonds s’est profondément modifiée. C’est à dire que, la part de l’aide publique, qui était de plus de 50 % du total, n’est plus que de 20 %, l’essentiel des apports étant d’origine privée, sous formes d’investissements, de prêts de banques commerciales, d‘émissions d’obligations internationales etc.… En d’autres termes, c’est le marché qui finance le développement.

                Flux de capitaux  1990 – 1996  (en milliards US$)

                                                               1990        1991        1992      1993       1994       1995       1996

 

                Cumul                                   100,6       122,5       146,0      212,0       207,0      237,2      284,6

Privé                                        44,4        56,9         90,6      157,1       161,3      184,2      243,8

Public                                      56,3        65,6         55,4       55,0          45,7        53,0        40,8

                Apports privés : par région    (en milliards US$)

                                                                1990        1991        1992      1993       1994       1995       1996

                Total PVD                            44,4         56,9         90,6      157,1       161,3     184,2      243,8

Afrique subsaharienne         0,3           0,8          -0,3        -0,5            5,2         9,1        11,8

Asie de l’Est/Pacifique        19,3         20,8          36,9       62,4          71,0       84,1      108,7

Asie du Sud                            2,2              1,9           2,9         6,0            8,5         5,2        10,7

Europe/Asie Centrale            9,5          7,9          21,8       25,6          17,2        30,1       31,2

Am.Latine/Caraîbe               12,5        22,9          28,7       59,8          53,6       54,3        74,3

M-O et Afrique du Nord      0,5          2,2            0,5         3,9             5,8        1,4           6,9

Source : Jeune Afrique, n° 1893 – Du 16 au 22 Avril 1997.

Mais le marché, résultant de la division avancée du travail, est un rapport social. Il met en relation des acteurs situés au sein d’une structure sociale. Il n’introduit pas nécessairement un rapport de réciprocité équitable.

Le marché mondial est un système complexe dans lequel s’affrontent ou coopèrent les États et les agents économiques. Tout le monde peut participer au feu sans disposer des mêmes moyens dans la fixation des règles. [3]

L‘absence d’intégration des marchés du travail qui pénalise surtout l’Afrique qui détient la plus grande proportion sur les marchés des capitaux et des produits, est une autre caractéristique de la mondialisation de l’économie.

Les relations internationales favorables, des innovations technologiques et organisationnelles et des mouvements de concentration sont les conditions nécessaires à l’extension de la mondialisation. Mais, en mondialisant ses pratiques, l’économie capitaliste mondialisée universalise sa logique. Cette logique qui érige la loi de la valeur en paramètre économique indiscutable et en fait la norme de fonctionnement de l’ensemble de la société. Tout devient marchandise et la loi de la valeur mondialisée, engendre nécessairement la polarisation. (Il ne s’agit pas au fond de loi mais d’une thèse de la mondialisation de la valeur. La valeur étant conçue comme l’expression de celle du système productif impliquant que la force de travail n’ait qu’une valeur pour l’ensemble du système mondial. Si cette valeur doit être mise en rapport avec le niveau de développement les forces productives, celui-ci est donc celui qui caractérise le système mondial pris dans son ensemble et non les systèmes nationaux. Ce mécanisme, fruit d’un rapport de force, est pour arriver à un taux de plus value plus important. Il va de soit que sous ce rapport, le niveau de développement des forces productives retenu est équivalent à celui d’une grande puissance. La conséquence de ce mécanisme sur les pays africains par exemple est double : refus ou blocage de toute forme d’industrialisation et dépossession des producteur de la capacité de définir eux-mêmes le prix de leurs productions).

3. Les tendances de la mondialisation

On peut les résumer par la concentration de plus en plus forte des monopoles dans les domaines suivants que nous ne développons pas ici :

– Finances Internationales, appelée aussi, globalisation financière ;
– Multinationales (développement des firmes-réseaux) ;
– Science et Technologie ;
– Communication et information ;
– Accès aux ressources naturelles.

Disons tout de même que c’est ici le lieu de la construction de toutes les alternatives avec des “brain trusters” ainsi que des structures de veille scientifique et technologique, parce que c’est à partir de ces segments que les grands monopoles tentent d’affaiblir les États après avoir lancé le processus de contrôle de la Planète.

4. Les conséquences de la mondialisation

a – Les conséquences sociales de la Mondialisation

– Pas de croissance de l’emploi

Contrairement à une idée largement répandue, la concurrence des pays du Sud, ne menace pas l’emploi dans les pays du Nord. Même si la plupart des pays du Sud dans les exportations manufacturières mondiales est passée de 6 % en 1970 à 16 % dans les années 90 et à 25 % en 1996, le Sud achète au Nord plus qu’il ne lui vend.

S’il n’y a pas donc pas de croissance de l ‘emploi en Europe, par exemple, cela est dû plutôt à des causes internes. Notons à cet égard que l’essentiel des flux financiers et commerciaux et des investissements à l’étranger des pays de l’OCDE s’effectuent entre eux (80 %). Ce système favorise les politiques économiques restrictives, chaque pays cherchant à exporter ses difficultés chez ses partenaires. A défaut de perspective de croissance, les entreprises cherchent à améliorer leur rentabilité tout en limitant les investissements ; (Voir à ce sujet ; “Les riches n’aiment pas que les pauvres s’enrichissent”, par Jean François REVEL, in Jeune Afrique, n°1892.

– Diminution de la classe ouvrière dans les pays capitalistes développés et affaiblissement syndicale ;

– Transformation des alliances dans les pays du Sud ; recomposition des bourgeoisies, fragmentation ou disparition de certaines organisations fortes de type “hors du système” [4], en favorisant ceux qui aspiraient à être des contre-pouvoirs solides, mais plutôt pour des réformes douces. Par exemple, au Sénégal, l’affaiblissement syndicale a commencé par prendre la forme d’une modification de l’article 47 du Code du travail et a été exigée par la Banque Mondiale et le FMI selon Monsieur Madia Diop, secrétaire général de la Confédération Nationale des Travailleurs du Sénégal (CNTS), membre du bureau politique du Parti Socialiste et vice-président de l’Assemblée Nationale, afin de permettre aux employeurs de licencier sans notification préalable, ni écrite, ni verbale et sans avoir à évoquer des motifs ;

– Déséquilibre dans les relations centre-périphérie (immigration, sans-papiers, exclusion, naissance d’un quart-monde etc.)

b – Les conséquences politiques de la mondialisation

  • Crise de l’État-nation, qui ne dispose pas de moyens d’agir sur une dimension qui le dépasse ;
  • Pouvoir hégémonique des USA (instrumentalisation de certains organes des Nations Unies, guerre du Golf…) ;
  • Droit d’ingérence. Ingérence humanitaire, ou pour le respect des droits humains, dont les causes (pauvreté, misère, vol, détournements etc.) sont liées aux modèles d’accumulation;
  • Les nouvelles conditionnalités, qui établissent un lien entre l’aide économique et l’ouverture au marché ou la démocratisation, de type occidental : bonne Gouvernance, démocratisation, coopération décentralisée, éducation de base, qui méritent d’être bien discutées.

c – Conséquences sur de la Mondialisation sur la détérioration du potentiel économique de développement dans les pays du Sud

En 1981, la Banque Mondiale, dans son rapport sur l’aide internationale, disait ceci : “Si l’Aide doublait en valeur réelle, d’ici à la fin des années 1980, c’est à dire, si elle passait de 4,9 US$, à 9,1 (soit 17,8 courants), si la politique extérieure était orientée dans le sens voulu, l’Afrique aurait un taux de croissance par habitant de 2,5 %, en moyenne”. Or, en 1989, le montant de l’Aide était de 13 milliards US$ ; le montant cumulé, de 1983 à 1989 était de 75,5 milliards.

Pour l’Afrique au sud du Sahara, le montant de l’Aide en 1989 était de 27,7 milliards US$, soit, 7,9 % du PIB par habitant. Pourtant, le PIB, par habitant a diminué de 1 %, par an, de 1980 à 1990, et le PNB de 2,8 %.

En réalité, l’Afrique a reçu des prêts à des fins de consommation. L’Aide, ici, n’a pas pour vocation de construire une société nationale solidaire. D’aucuns pensent d’ailleurs que l’Aide, en Afrique au sud du Sahara, a été négatif sur la croissance.

Les Programmes d’Ajustement Structurel (PAS) bien qu’ayant permis le rétablissement du déséquilibre de certains indicateurs macroéconomiques, ont été désastreux pour nos économies, en renonçant aux objectifs sociaux. Ils ont favorisé par ailleurs une fuite de capitaux énorme.

En 1990, les pays du Tiers-monde, hors OPEP, ont transféré, 12 milliards US$. Alors qu’il est partout décrié, le manque de capitaux pour l’investissement. Pour l’Afrique au sud du Sahara, selon la Banque Mondiale, de 1970 à 1987, 13 pays exportateurs de pétrole et de produits miniers, ont transféré, 72,5 milliards US$, sous formes d’intérêts, de profits et de remboursement de la dette.
Les transferts nets, sous formes d’intérêts et sorties nettes de fonds, ont été de 68,5 milliards US$, pour l’ensemble des pays au sud du Sahara, dont 21, sous formes d’intérêts, et 47,5, sous formes de fuites d’épargne.

De 1980 à 1987 (décennie perdue, selon la B.M. pour le développement), cette partie du continent avait transféré, 51 milliards US$ vers le Nord, compte non tenu des transferts invisibles. Aujourd’hui, l’Afrique continue encore de fournir des ressources financières au centre. Cela veut dire, dans ces conditions, que le potentiel de développement économique se détériore inexorablement depuis 30 ans.

d – Les conséquences culturelles et idéologiques

La question de l’identité nationale et la problématique de la tendance à la mise en place d’une conscience supranationale font l’objet d’un débat partout. Mais la bourgeoisie transnationale oublie qu’elle a construit les bases matérielles de son existence avec une culture adéquate, alors qu’en face, les peuples défaits ou les cultures en déclin se lancent péniblement à la recherche d’une identité avec le risque que cela débouche sur le nationalisme et sur les intégrismes de toutes sortes. Le nationalisme, on le sait pousse aux excès de toutes formes (obscurantismes, dépolitisation, violence organisée etc.).

5. Les défis de la mondialisation

Les défis de la Mondialisation de l’économie, pour les pays du Sud et l’Afrique en particulier, sont liés aux tendances mêmes de la nouvelle Mondialisation que nous avons évoquées. Les autres défis sont liés au développement économique et social immédiat de l’Afrique sont les suivants :

a- le défi de l’intégration régionale dans le sud

Comme nous l’avons montré, la Mondialisation de l’Économie, interpénétration des capitaux et des systèmes productifs, se développe très vite. Elle met en place une économie mondiale dominée collectivement par une interpénétration tripolaire. C’est à dire que nous sommes en présence d’une Triade dont chaque composante cherche à former une “région sud”. [5]

A – USA-MEXIQUE-CANADA ——————–» ALENA- MERCOSUR

B – JAPON-USA  ———————-»  ASIE DE L’EST (APEC/AFTA)

C – UE-EUROPE DE L’OUEST ———————»       AFR/SS-AFR/NORD

Que les USA manifestent un intérêt nouveau pour l’Afrique, ou que l’Union européenne veuille être plus présente en Amérique latine, ne change rien à la logique qui sous-tend cette forme d’organisation régionale. En effet, la formule, “marché commun”, ouvert sur l’économie mondialisée, est, selon la théorie néolibérale, la seule forme de régionalisation acceptable ; elle permet l’intensification des échanges entre régions et au niveau mondial, et donc assure “la croissance que tout le monde veut”.

Mais avant d’en arriver là où ils se trouvent, les grands pays se sont efforcés de faire des “régions nord” des espaces de plus en plus dynamiques et autocentrées, c’est à dire maîtrisant parfaitement les conditions de l’accumulation :

  • la maîtrise locale des ressources naturelles ;
  • la maîtrise de la production ;
  • la maîtrise des marchés ;
  • la maîtrise locale du marché ;
  • la maîtrise de la reproduction de la force de travail ;
  • la maîtrise locale de la centralisation du surplus ;
  • la maîtrise locale des technologies;
  • la maîtrise du système bancaire.

C’est ainsi que les trois blocs du Nord polarisent 90 % du total des échanges et 80 % des investissements dans le monde. (L’Afrique détient respectivement : 2,5 % et 2 %, alors que l’Asie attire 11 % des investissements). Cette prépondérance des investissements croisés de la Triade est le reflet de l’homogénéisation de l’espace économique des pays industrialisés.

Il faut aussi noter, qu’encore aujourd’hui, malgré les résistances et l’alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) “le contient américain dans son ensemble demeure le champ d’action privilégié des firmes américaines, dont la position dominante sur les marchés de l’ALENA et de l’Amérique du Sud n’est guère remise en cause. De même, l’ensemble Japon-NPIA-ASEAN absorbe la majeure partie des investissements des firmes japonaises, qui dominent les flux d’IDE dans cette région du Monde”. [6]

Comme on peut le voir, une telle organisation pour le Nord, qui n’est pas du tout incompatible avec la mondialisation des marchés, facilite la déconnexion ou le repli, en cas de crise grave dans les régions du sud, comme cela a été le cas au Brésil, au Mexique et avec la crise en Asie. Ce repli est d’autant plus facile qu’ils ont fait les lois et disposent de capacités techniques qui leur permettent rapidement de lever les obstacles physiques et réglementaires aux mouvements des capitaux.

Les pays africains devraient donc avoir, sur la question de l’intégration régionale, une vision et des démarches qui permettent d’assurer un degré autonomie relative. En outre, il apparaît de plus en plus que toute forme de régionalisation qui ne prendrait pas sérieusement en compte, la pauvreté, la paupérisation des classes moyennes, l’exclusion et les questions liées à la protection de l’environnement, sera vouée à l’échec, sans nul doute.

Aujourd’hui, un grand nombre de dirigeants du Nord comme du Sud pensent impossible une intégration avantageuse pour les pays du Sud dans l’économie mondiale sans changer les structures de son fonctionnement.

De même l’argument selon lequel une insertion accrue au marché mondial particulièrement pour l’Afrique, est une condition essentielle du développement, doit retenir notre attention dans la recherche de solutions viables. Il est démenti par les faits. En 2003, la part des échanges de l’Afrique dans le PIB était de 52,7% contre 41,5 % en moyenne mondiale. C’est ce que nous appelons, le ratio d’intégration. Pour rappel, les taux étaient de 19% pour les USA, 19,9% pour le Japon, 24,1% pour l’Asie du Sud, 30% dans la zone euro, 34,9% dans les pays à bas revenu, 38,3% dans les PED à haut revenu, 38,7% au Royaume-Uni, 42,2% en Amérique latine, 50,4% au Moyen Orient et Afrique du Nord, 70,5% les pays émergents d’Asie de l’Est et du Pacifique), 62,9% pour quelques les pays pauvres très endettés[7]. Si on considère l’ensemble des actifs de chaque région, l’Afrique a parmi les taux les plus élevé (plus de 85%.

Le défi de la mise en place d’un gouvernement d’une Afrique unie fait l’objet de nos travaux. Il n’est pas utopique, il est impératif. Plus nous laisserons les États s’installer dans le confort de leur souveraineté nationale, plus nous perdrons du temps dans nos efforts pour restaurer les capacités autonomes de nos peuples.

Mais la réalité fait que pour chaque projet, il y a toujours un “coût d’opportunité” qui fait que l’on puisse être prêt à s’engager tout de suite mais surtout un “coût de renonciation” qui peut apparaître comme difficilement soutenable pour certains. C’est comme au sujet de la promotion des langues africaines comme langue de travail. La plupart d’entre nous, “savants et diseurs du Droit”, ont peur de se découvrir analphabète si on les mettrait en ouvre immédiatement.

b- le défi de la sécurité extérieure dans le sud

Toute guerre est mauvaise pour l’humanité. Malheureusement, à commencer par les pays occidentaux, on ne le fait jamais assez comprendre. On y développe l’idée que ce sont les grandes guerres comme la seconde guerre mondiale qu’il faut éviter.

En réalité, détenant le monopole des armes de destruction massive, soucieux de la paix et de la stabilité dans les zones de grandes productions, les pays du Nord, selon la doctrine des “conflits de basse intensité”, il leur arrive pour cause de rivalités, de provoquer des conflits locaux, compte tenu de la fragilité de certains pays du Sud, liée à la diversité ethnique, religieuse ou à certaines disparités régionales. C’est pourquoi, il nous faut soutenir, tous les groupes, toutes les organisations, ainsi que toutes les initiatives crédibles, susceptibles de concourir à l’instauration de la paix entre régions, ethnies et pays. [8]

En conclusion, on peut retenir malgré tout, même si dans les nouvelles batailles pour contrôler, voire dominer le monde, la concurrence est accrue et dure, que la mondialisation, par l’essor de nouveaux pays industrialisés, introduit une contribution positive à la croissance de l’économie mondiale. La tâche immédiate n’est-elle donc pas d’arriver à un développement autocentré et protégé, dans une mondialisation qui puisse garantir les échanges équitables entre régions du monde, inégalement développées ? Car, la mondialisation est un fait de l’histoire moderne et même si on peut l’analyser en termes de crises des capacités autonomes des pays du Sud, [9] elle est indubitablement un fait positif, un progrès dans l’histoire des hommes. De ce point de vue, il faut plutôt une insertion active, à même de modifier, les conditions de la mondialisation, au lieu de poser le problème en termes de refus. Car, le capitalisme, comme le montre son histoire, engendre toujours des contre-pouvoirs, susceptibles de limiter des effets pervers.

L’enjeu, le véritable défi, c’est d’être positif dans la bataille pour un monde multipolaire, introduisant un rapport de réciprocité équitable, dans lequel le Droit et l’Équité jouent un rôle important en tant que facteurs de régulation ou de transformation. Les secteurs de la formation, de l’enseignement et de la recherche sont sans contestations possibles ceux qui doivent retenir le plus notre attention. Il apparaît en effet que la science et la technologie sont aujourd’hui, les facteurs les plus importants dans la croissance et la compétitivité des pays, mais aussi d’inégalité entre régions du monde. En d’autres termes, le fossé qui sépare les différentes nations est aussi la conséquence de l’inégal développement de leur potentiel scientifique et technique. Comment maintenir ou restituer nos capacités autonomes, le cas échéant ? Comment éviter de devenir pour l’Afrique et le Sénégal, de simples espaces de consommations ? Voila autant de questions à résoudre.

Communication de Dr Chérif Salif SY
Secrétaire général de l’Association Sénégalaise des Économistes (ASE)

Mis en ligne sur Afrology 24 août 2009

Notes

1. Philippe Norel; L’invention du Marché : une histoire économique de la Mondialisation Ed du Seuil, France 2004.

2. Remarques : La globalisation financière, datant des années 80, se traduit par :
1 – la déréglementation (démantèlement des dispositifs de contrôle des changes) ; elle a pris effet le 1er Juillet 1990.
2 – le décloisonnement (abolition des frontières, aussi bien des marchés nationaux qu’entre les différents produits financiers) ; le système financier international est devenu un marché unique de l’argent ;
3 – la désintermédiation (la possibilité de recourir directement aux marchés financiers.
Par « entreprises-réseaux » on entend un ensemble d’entreprises développement des relations de coopération avec un ensemble d’entreprises extérieures, en externalisant ou en sous-traitant une partie de leurs activités afin de gagner en souplesse. Alors que « l’entreprise intégrée », internalisait au maximum ses activités, de manière à augmenter son autonomie.

3. Sur toutes ces questions ainsi que sur les problèmes de régulation, de droit et d’étique, voir les travaux du Comité d’analyse économique (CAE) du gouvernement Français, ainsi que les études internationales.

4. Il s’agit souvent d’organisations syndicales, estudiantines ou autres, dont la défense des « intérêts matériels et moraux » de leurs membres devait être comprise aussi, comme la lutte contre le capitalisme et les privilèges.

5. Voir sur ce chapitre, Bernard FOUNOU-TCHUIGOUA, » Afrique de l’Ouest : les conditions de la relance de la coopération », in Africa Development Vol, XXI, n° 2 et3, 1996, pp, 279-300).

6. Jacques ADDA, La Mondialisation de l’économie : Genèse et problèmes, Édition La Découverte, 2006

7. Jacques BERTELOT, David et Goliath : argument contre les APE entre l’Union Européenne et les ACP? ENSAT-France, décembre 2006.

8. Bernard FOUNOU-TCHUIGOUA, » Afrique de l’Ouest : les conditions de la relance de la coopération », in Africa Development Vol, XXI, n° 2 et3, 1996, pp, 279-300).

9. Philippe Norel « Nord-Sud : les enjeux du développement ; autonomie, travail fantôme, servitude. » Ed. Syros, Paris, 1986.
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