Histoire d’une dévotion à sens unique..
La rencontre entre l’Afrique et le Christ est faite d’épines et de sang (et pas dans le sens généralement admis). En 1866, le pape Pie IX justifie certaines formes d’esclavage. Dans la basse Louisiane, la plupart des maîtres Français ne veulent donc pas entendre parler de faire instruire leurs esclaves, de les faire marier ; souvent même ils ne permettent pas à ces sous-hommes (dénués d’âme) d’aller à l’église[1].
L’Afrique contemporaine vit un paradoxe spirituel incroyable : le continent le plus blessé par la colonisation religieuse est aujourd’hui le plus fervent défenseur de ces religions dites révélées. Mais comment expliquer cette fidélité ? Et à qui profite-t-elle vraiment ? Réalisme ou absurdité ?
1. L’instrumentalisation missionnaire : des archives accablantes
Les vidéos et lettres de Léopold II de Belgique sont sans équivoque. Dans sa célèbre lettre adressée aux missionnaires catholiques partant pour le Congo (vers 1883), il écrit :
“Votre rôle est de faciliter les missions des administrateurs et des industriels. Vous devez interpréter l’Évangile de manière à faire des Noirs des êtres soumis.”
(Lettre attribuée, même si partiellement apocryphe, elle illustre parfaitement l’esprit colonial belge.)
Les archives du Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren, Belgique) témoignent aussi de cette utilisation stratégique de la religion pour affaiblir les structures sociales africaines.[2]
Une des armes les plus utilisées dans ces pays conquis reste le confessionnal. Il s’agit d’un meuble d’église inventé entre le diocèse de Vérone et celui de Milan, dans les décennies 1540-1570. Il est conçu pour discipliner les corps, enseigner les gestes de la pénitence et porter les âmes à la confession humble ; c’est le lieu de divulgation des secrets les plus intimes.
2. Églises modernes en Afrique ou trônes sacrés ?
Dans plusieurs pays (RD Congo, Côte d’Ivoire, Togo, Cameroun…), les églises catholiques traitent les dirigeants politiques comme des monarques. Des témoignages et vidéos font état d’interruptions de messes pour permettre au président ou à des ministres de quitter l’assemblée avec un cérémonial quasi-papal.
🔎 Exemple rapporté par Radio France Internationale (RFI) à propos d’événements au Congo-Brazzaville ou en Guinée équatoriale, où des évêques ajustent leur liturgie selon la présence présidentielle.
Il est courant en effet de voir le protocole adapté, des places spéciales réservées à ces guides auto-éclairés pour un office religieux ; on ne peut pas commencer un office si le potentat africain est en retard. La cour chrétienne reçoit même des ordre ou des instructions du prince-président. On a, dans ces pays des prélats exilés et/ou virtuellement excommuniés par l’Etat pour des positions jugés dérangeantes. Aujourd’hui en Afrique, le pouvoir politique fait et défait les responsables de l’église catholique, ce n’est plus un secret. Pour se protéger, cette église supporte et renforce la dictature.
Dans certains pays d’Afrique, la location d’une salle de réunion dans les locaux du clergé est subordonnée à une autorisation du ministre de l’intérieur et de la sécurité lorsque la demande provient d’instances supposées en opposition aux idées du prince-président.
3. L’affaire Sarah : l’église catholique est-elle libre et autonome ?
En 2024, le cardinal Péter Erdö, archevêque de Budapest, aurait confié à des membres de la curie ses craintes face à une campagne organisée contre le cardinal Robert Sarah. Ce dernier, originaire de Guinée, est vu comme le porte-étendard du courant conservateur, très populaire en Afrique[3].
Des rumeurs relayées par certains médias conservateurs européens (ex. La Nuova Bussola Quotidiana, Le Salon Beige, etc.) font état de pressions politiques, notamment de l’entourage d’Emmanuel Macron, pour influencer les votes de cardinaux français.
“Il y a des puissances qui ne veulent pas d’un pape africain.” — Déclaration informelle reprise par des journalistes spécialisés au Vatican.
Cette intervention du jeune président Macron (notre père qui est à l’Elysée) jette une lumière crue sur l’interaction entre pouvoir temporel et autorité spirituelle. Elle interroge sur l’ingérence d’un chef d’État laïc dans un processus délibérément spirituel, destiné à rester indépendant de toute pression extérieure. Demain, il ira crier devant d’autres obédiences pour la « sainte laïcité » de l’Etat français.
4. Pourquoi une telle passion pour des institutions qui refusent l’égalité ?
Ce paradoxe invite à une introspection. Comment expliquer cette fidélité africaine à des institutions qui, historiquement, ont :
- nié les rites traditionnels africains,
- participé à la destruction des systèmes éducatifs indigènes,
- et continuent, dans certains cas, à exclure les Africains des centres de pouvoir religieux mondiaux ?
📚 Réf. : Mbembe, Achille. « Critique de la raison nègre », La Découverte, 2013.
L’Africain est-il stupide ou masochiste?
5. Conclusion : Afrology appelle à une réappropriation spirituelle
La religion catholique semble prise en otage ; en Afrique par des dirigeants aux ordres et à Rome par l’oligarchie politique des anciennes métropoles. Cette fidélité aveugle des populations africaines (esclaves puis colonisés) ressemble parfois à une autoflagellation postcoloniale, nourrie par une aliénation historique non encore guérie.
Se réapproprier ses racines spirituelles, ce n’est pas rejeter l’autre, mais retrouver un espace de souveraineté intérieure et collective.
Ablam AHADJI
Bruxelles le 30 avril 2025
Notes: À lire, relire et faire circuler :
- Mudimbe, The Invention of Africa
- Achille Mbembe, Sortir de la grande nuit
- Ngugi wa Thiong’o, Décoloniser l’esprit
- Valentin-Yves Mudimbe, Parables and Fables
- Robert Sarah, Dieu ou rien
“Celui qui ignore d’où il vient ne saura jamais où il va.” — Proverbe africain
“Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” — Frantz Fanon
Et vous ?
Quelle place donnons-nous à nos propres traditions, à nos cosmologies, à nos voies spirituelles dans la construction de demain ?
Si ces informations sont confirmées, acceptez vous de nous accompagner pour une large campagne de dé-construction des méthodes de l’église catholique en Afrique ?
[1] Du baptême à la tombe: Afro-catholicisme et réseaux familiaux dans les communautés esclaves louisianaises. Préface de Paul Lachance Broché – Grand livre, 24 mai 2018
de Géneviève Piché (Auteur)
[2] Réf. : Mudimbe, Valentin-Yves. « The Invention of Africa », Indiana University Press, 1988.
[3] Réf. : Sarah, Robert. « Le soir approche et déjà le jour baisse », Fayard, 2019.