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L’école à la dérive en Afrique

Illustration dans le système éducatif togolais

L’Afrique court après une identité perdue. La société africaine, ancienne et moderne devrait être qualifiée par sa grande capacité d’absorption ou de discrétion ; elle intègre, ingère et fusionne jusqu’à disparaître dans le résultat. Le continent a aujourd’hui absorbé et intégré les technologies et religions importées ; il s’apprête doucement, surtout après le Sahara, à embrasser la morale et les traditions de l’Occident. Lorsqu’un problème survient dans certaines contrées, on croit devoir chercher la solution dans une doctrine étrangère ; pour les nouveaux événements, on improvise et on bricole.

Au Togo (petit Etat de l’Afrique de l’Ouest), depuis quelques années maintenant, il est possible de passer un bac en France pour les familles fortunées. Le ministre de tutelle n’est pas inquiet de l’enseignement de la morale et l’histoire de France sur son territoire, mais il est fortement préoccupé par les publications de vidéos sur les réseaux sociaux par des élèves désorientés, pendant que son collègue licencie une partie du personnel enseignant pour incivilités.

Place à l’improvisation dans les exemples qui suivent…

Les faits

Le 30 mars 2022, le ministre de la fonction publique signe un arrêté pour l’exclusion de 112 enseignants (désormais mis à la disposition de l’administration publique ‘sic’). Le prétexte officiel serait qu’ils se seraient illustrés dans des agissements contraires aux exigences d’enseignants, en créant des tensions et des perturbations avec une organisation non autorisée. Officieusement, ces agents ont manifesté et organisé des grèves pour réclamer une amélioration de leurs conditions professionnelles au sein du Syndicat des Enseignants du Togo (SET). La position du gouvernement n’est pas du goût de l’homme politique et avocat Dodzi Apévon. Il estime que le SET a une existence légale puisque le syndicat a fait les formalités exigées. “Le SET a fait son assemblée constitutive avec le dépôt du dossier à la mairie qui a reconnu leur existence le 18 juin 2021”.

Que fait la justice ? Les fonctionnaires affiliés à la SET, en total désaccord et en rupture de confiance avec le gouvernement et les instruments du pays, adressent un dernier recours à l’OIT désormais dirigé par un ancien premier ministre togolais (à suivre…).

Quelques mois plus tard, en pleine année scolaire, le directeur régional de l’éducation signe une décision portant exclusion d’un élève de tous les établissements de la région, avec la bénédiction de son ministre de tutelle. La faute ? La publication, par l’élève, d’une vidéo enregistrée en pleine classe, et appelant à l’école buissonnière. On vient ainsi de fabriquer un nouveau candidat pour la traversée de la Méditerranée.

Notre réflexion ne porte pas ici sur le fond mais sur la forme de l’exercice du pouvoir. Il est en effet admis aujourd’hui dans le pays, qu’une lettre d’excuse avec lecture de motion à la télévision aurait très certainement évité aux enseignants et à l’élève ces décisions ultimes. Dans ce pays, une entreprise (au demeurant étrangère) licencie ses employés grévistes et les somme ensuite de présenter des excuses avant leur réintégration. Il faut noter dans le même sens que juste avant les sanctions contre les enseignants, le gouvernement a conclu un accord avec d’autres organisations syndicales dans lesquelles les membres du SET ne se reconnaissent pas.

Dictature de classe et déficit de démocratie sociale

Le président est le Dieu, le gouvernement son prophète et la justice son glaive. La révolution n’est plus possible, nous apprennent les néo-marxistes, avec la création d’une nouvelle classe « d’arrivés » et leur récupération par la classe dirigeante.

Hier en Afrique, le chef traditionnel et ses notables avaient une existence véritable et constituaient un tampon face à certaines dérives de la société. Devenu aujourd’hui un fonctionnaire de l’Etat sans aucun pouvoir direct sur ses administrés, le nouveau roitelet local peut tranquillement recevoir des gifles et des fessées de l’autorité militaire qui a pris du galon en Afrique depuis les années 1990, pour son intervention dans la répression des revendications populaires. Ce roi  de facade attend les ordres du ministre sur les orientations éthiques de sa population, la météo et l’oracle. Celui qui ose contester est démis de ses fonctions et invité à se plaindre, sans effets, auprès de l’Union Africaine.

Un ministre est amené à intervenir dans le dossier d’un élève pour une sanction disciplinaire, dans un pays où nous avons, selon ses propres dires, un enseignant pour 53 élèves. Un second s’occupe pendant ce temps de sanctionner 112 enseignants (pénalisant ainsi quelques 5936 élèves ou hypothéquant leur avenir). Sans concertation avec les principaux concernés, le minitre (fort de sa position) prend des décisions et décrète.

Carence de l’encadrement et absence de vision

Les populations administrées (les élèves, les professeurs…) sont désorientées par l’absence de cadres formels et de normes face à une administration qui réclament des devoirs sans accorder de droit aucun. Dans les cas ci-dessus exposés, les individus sanctionnés sont tous accusés de « manquements graves aux lois et règlements en vigueur et aux normes d’éthique et de déontologie… ».

Aucun espace n’est plus accordé au débat contradictoire ou au soutien de l’accusé ; la justice est absente, trop chère ou aux ordres. Les structures traditionnelles d’encadrement sont brisées et remplacées par des médiocres souvent nommés et fortement rémunérés. La première forme de société, la famille, est déconstruite avec l’autorité du père remise en question par une administration verticale. La chefferie traditionnelle est remise en question ; le professeur des écoles est appauvri et emprisonné ou licencié. Comment ces structures peuvent-elles imposer le respect aux enfants de la communauté ?

L’absence ou la déconstruction de ces anciens cadres n’a même pas été pensée ni compensée ; il n’existe aucun lieu pour une assistance à cette jeunesse laissée à elle-même. Alors on jette en prison ou on pousse à l’exil. Pendant que l’Occident se bat pour un futur sain et propre pour l’humanité, on continue de bâtir des murs autour des populations d’Afrique. Les citoyens sont poussés au recours extérieur.

Echec de la mission d’éducation

Après tout ce qui précède, il convient d’acter l’échec de l’école dans sa mission régalienne d’éducation, à partir du moment où l’exclusion devient la seule voie de redressement. Un père de famille qui chasse son enfant de la maison ne peut pas estimer avoir accompli son devoir. Il y avait suffisamment de signes avant-coureurs qui auraient pu alerter n’importe quelle structure bien constituée. Existe-t-il encore des conseils de classe, des associations de parents d’élèves dans ces écoles ? Les enseignants sont-ils eux-mêmes suffisamment motivés et financièrement accompagnés pour accomplir leur fonction avec efficacité ?

Certains illuminés parlent de sanctionner les parents de l’élève sans s’interroger sur les moyens offerts à ces derniers pour mener à bien leur mission d’éducation. Le père probablement un ancien fonctionnaire (avec un dixième de solde) veuf et aveugle, a-t-il des arguments, sans aide publique aucune, pour exercer son autorité sur un adolescent en manque de reconnaissance ?

Les écoles africaines, construites pour la plupart sur des bases coloniales, n’ont jamais su se réinventer. Dans certains établissements scolaires en Afrique, les langues nationales sont toujours censurées, même dans la cour de récréation. Les manuels et textes (en Français) sont calqués sur des modèles aujourd’hui dépassés ; on se contente souvent de copier, sans aucun génie et sans honte. La métropole passe au système LMD : on va faire la même chose sans réflexion ni concertation. Y’a-t-il seulement dans les règlements de l’école un article qui interdit les smartphones en classe ?

Epilogue

Malgré une accumulation d’alertes et d’erreurs, nos Etats africains n’ont toujours pas la capacité de prendre du recul pour une auto-critique et une remise en question. La société est un ensemble plus ou moins homogène dont l’éducation est le ciment. Nous tentons d’appeler depuis des années à des assises nationales et régionales de l’enseignement. Il est encore possible de révolutionner le secteur, pour les prochaines générations. On parle dans ces Etats du devoir des citoyens ; on insiste sur des règles de déontologie sans jamais évoquer les devoirs de la classe dirigeante ni même les droits de cette population soumise. Les règles et la morale sont édictées non plus par le groupe, mais par son administration ; les anciens colons l’ont compris, qui donnent les instructions au politique pour les orientations sexuelles et les opinions stratégiques pour leurs populations.

La vie nous enseigne que plutôt que de changer quelqu’un, il est souvent préférable d’apprendre à tirer profit de ses défauts. Dans un pays structuré, avec des ambitions pour sa population, on aurait d’abord orienté cet enfant avec son buzz vers TikTok. On l’aurait obligé à faire une vidéo d’excuses, puis filmé pendant l’exécution de ses travaux d’intérêt public. Les recettes de TikTok auraient ensuite été utilisées par l’école pour la construction d’une bibliothèque.

Mais après mure réflexion, nous nous demandons si une action est encore possible tant que les décideurs seront les premiers à envoyer leurs enfants dans les écoles étrangères. La r-évolution est-elle encore possible ?

Bruxelles, le 13 janvier 2023
Ablam Ahadji