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Inscrite à l’agenda de l’UNESCO en 2004, la Journée Internationale du Souvenir de la Traite Négrière et de son Abolition (JISTNA) est célébrée le 23...

La banque de demain…

Afrology a lancé en 2020 un projet de création d’une banque d’épargne et d’investissement. La Banque de demain regroupe des africains de la diaspora répartis...

Instrumentalisation par Humanisation de Dieu

Soldat missionnaire français

Prolégomènes à l’instauration de la dictature militaire…

La libération du peuple de Dieu

L’Exode d’Israël hors d’Égypte est un récit biblique selon lequel des Hébreux, réduits en esclavage par l’Égypte, s’en seraient émancipés, sous la conduite de Moïse, en vertu d’une promesse divine faite à leurs ancêtres (une sorte de protectorat divin). La sortie d’Égypte et la longue traversée du désert qui y fait suite sont relatées dans les Livres de l’Exode, du Lévitique, des Nombres et du Deutéronome. Le passage qui retient notre attention ici est le moment de la compensation.

Exode Chapitre 20

  1. Voici les paroles que Dieu adressa à Israël :
    2. “Je suis le Seigneur ton Dieu, c’est moi qui t’ai fait sortir d’Égypte où tu étais esclave.
    3. Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi…”

Qui a dit que l’intérêt n’existait pas dans la maison de Dieu ?

La version coloniale de la libération: Dieu fait homme

Ce verset central de l’Exode (20.2) révèle un contenu essentiel de la Bible pour le peuple chrétien: Dieu est le libérateur de son peuple (sic). Dieu, par amour, aurait donc libéré son peuple, qu’il avait pourtant créé libre. Il proposera ensuite à ceux-ci de manifester leur amour pour lui en obéissant à sa loi. Le peuple quitte un asservissement pour tomber sous un autre pouvoir…

Cet appel à une reconnaissance éternelle pour avoir été libéré de l’esclavage est assez étrange. Nous retrouvons la même pratique dans l’arrivée des premiers missionnaires et colons en Afrique. Les traités dit de “protectorat” signés stipulaient en effet une défense contres des envahisseurs esclavagistes en provenance des contrées arabes barbares et sauvages.

Le 10 septembre 1880, sur les bords du fleuve Congo, Pierre Savorgnan de Brazza, âgé de 28 ans, conclut un traité en plusieurs exemplaires avec le chef traditionnel des Batékés (un illettré), afin de les protéger de l’esclavage: la Promesse.

Par ce traité auquel l’Africain ne comprend rien, la République française établit son protectorat sur un vaste territoire qui fait aujourd’hui partie du Congo-Brazzaville. Quatre ans plus tard, à la fameuse « messe de Berlin », l’Occident va s’entendre pour un partage et une division de l’Afrique (en l’absence du chef Batéké). Connue comme la conférence de l’Afrique de l’Ouest, elle commença le 15 novembre 1884 à Berlin et finit le 26 février 1885. À l’initiative du chancelier Otto von Bismarck, l’Allemagne, l’Autriche-Hongrie, la Belgique, le Danemark, l’Empire ottoman, l’Espagne, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, les Pays-Bas, le Portugal, la Russie, la Suède-Norvège ainsi que les États-Unis y participèrent.

Chaque puissance coloniale établira ensuite un contrat avec sa colonie pour la protéger, à l’intérieur des frontières alors établies, contre les envahisseurs étrangers (les frères de Berlin). Après les “indépendances” ces contrats sont maintenus pour protéger l’africain contre sa propre famille. Et comme en plein Moyen Age, avec le traité de Verdun (843), dans lequel les comtés de Flandre, de Boulogne et d’Artois, font allégeance aux rois capétiens ; avec interdiction de commercer avec les anglais, il sera exigé des indigènes une exclusivité et une soumission totale.

La libération avec les versets modernes: la nouvelle église

Un siècle plus tard, un nouveau dieu est découvert en Afrique par l’Armée française: Le dieu Serval. Il s’agit d’une divinité militaire, mi-homme, mi-animal, qui lutte contre les groupes djihadistes au Sahel. Officiellement découvert en janvier 2013 et sanctuarisé dans le cadre de l’intervention militaire au Mali, il opère une mue en juillet 2014, lorsque les prêtres engagés dans le pays intègrent un temple plus régional : l’église Barkhane commandé depuis la France. “Alors Moïse dit à Josué: Choisis-nous des guerriers et demain tu iras combattre les Amalécites. Moi, je me tiendrai au sommet de la colline, avec le bâton de Dieu à la main”. Exode 17:9

Barkhane mobilise 4.000 missionnaires, huit avions de chasse, 300 blindés, 300 véhicules logistiques, 17 hélicoptères, des avions de transport, cinq drones et une batterie de satellites contre des forces non identifiées, mais sans aucune capacité blindée ni aérienne. C’est le plus important déploiement français en pèlerinage extérieur ; une promesse de protection en échange d’une allégeance totale au dieu Barkhane, même si on attend toujours depuis 7 ans un bilan des opérations menées. C’est le prix à payer pour la protection.

Maintenant qu’elles sont instruites et savent lire, les populations sahéliennes réclament vainement, depuis des années, un exemplaire du traité de protection signé avec leur « Batéké local ».

Le peuple africain, « libéré » de l’esclavage, attend toujours la sortie du désert et la terre promise.

Différence de méthodes

Une similitude existe dans les deux récits : les ennemis sont ici bien connus et certaines fois sélectionnés, comme à la fameuse messe de Berlin. Les Egyptiens, hier fils de Dieux, se sont rendus coupables d’esclavagisme et ont été défaits pour libérer le peuple asservi. Le colon a choisi à Berlin son ennemi; aujourd’hui il décide que c’est le djihadiste; il faut l’accepter au nom du traité dit de coopération militaire.

Les termes de l’accord: Dans les deux cas, nous n’avons aucune copie des textes de base. On peut toutefois supposer que le contrat a été respecté dans les versions modernes aussi, puisque nous avons pu constater d’une certaine façon la fin de la traite négrière et d’un type de commerce des Noirs. Le système barbare décrié sera progressivement remplacé par le commerce triangulaire, la colonisation puis des accords plus modernes avec des noms de code. Mais pour la Terre promise, il faudra repasser. Là où Dieu avait fendu l’océan pour laisser passer son peuple, l’africain (qui a échappé au démon djihad) est obligé d’improviser des barques et des pirogues pour la grande traversée vers Ceuta et Melilla.

Les sanctions: Si le dieu de l’exode avait, dans sa rage libératrice, dévasté l’oppresseur égyptien, il faut constater aujourd’hui que les esclavagistes occidentaux ont plus que prospéré dans des groupes comme AXA, la Banque de France, Hennessy, Marie Brizard et que le système se perpétue d’une certaine manière dans le franc CFA et des sociétés postcoloniales présentes sur le continent.

Les compensations: Le Dieu chrétien pose les conditions APRES la libération. Le Dieu moderne (occidental) veut les garanties AVANT. Le dieu Barkhane semble en effet refuser la présence de dieux russes. Sans avoir rempli sa part du contrat, il insisterait sur une certaine exclusivité dans la relation : « Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi », ensuite, je vais voir si je peux te libérer des méchants djihadistes.

Epilogue

Fort son héritage colonial, le potentat local, placé après la décolonisation et des “indépendances”, se pose en libérateur (Dieu) et guide éclairé (Moïse). Il va réussir à trouver des ennemis au peuple ou, à défaut, les inventer. Il va aussi respecter l’ordre des versets fondateurs :

  1. Voici les parole du Guide africain à son peuple:
  2. “Je suis le Seigneur ton Dieu, c’est moi qui t’ai fait sortir de la colonisation” : l’image du père de la nation.
  3. “Tu n’adoreras pas d’autres dieux que moi”… : autrement les opposants à ma politique sont des traitres.

Nous nous sommes souvent posé la question de la justification des armées et missions indigènes ou étrangères dans les pays africains. Le guide trouvera un fondement dans la nécessité de protection des frontières artificielles tracées à Berlin et le souci constant du maintien de la pression (le sentiment de peur). Hier c’était l’impérialisme, aujourd’hui le djihadisme. Demain le covid-20? C’est à ce titre que les armées de libération africaines s’évertuent à entretenir un équilibre fragile au travers des coups d’état successifs, pour “libérer” le peuple de lui-même, 60 années après les indépendances.

Mais, chemin faisant, l’africain a appris à lire et à nager. Si on l’oblige à honorer un seul dieu, n’est-il pas alors qu’il en existerait plusieurs? Si l’histoire est un cycle, ne faudrait-il pas doucement penser à la construction d’un veau d’or, pour enfin provoquer une intervention de Dieu (EXODE 32:1-14) en Afrique?

Questions ouvertes:
– Si Dieu est intervenu pour les Hébreux, comment se fait-il que le Sahélien soit obligé de passer par des intermédiaires?
– L’existence de dieu(x) aurait-il un sens sans celle du diable?
– Comment savoir, au moment du contrat, si on signe avec le bon dieu?
– Avec lequel Dieu, Moïse ou Josuah, faut-il signer le traité?

Bruxelles, le 1er novembre 2021

Ablam Ahadji