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Afrique: Usure et métamorphose du pouvoir

Éléments de compréhension de la dictature moderne en Afrique

 

La dictature est un régime politique dans lequel le pouvoir est détenu par une personne ou par un groupe de personnes (junte) qui l’exerce(nt) sans contrôle, de façon souvent autoritaire. De fait, nous constaterons que dans la plupart des Etats modernes du continent africain, le dirigeant politique se passe assez souvent de contrôle ou de contre-pouvoir. Mais pourquoi les dirigeants africains sont-ils parmi les rares en ce monde, à vouloir s’éterniser au pouvoir ?

Selon une perception communément admise dans la communauté, l’Afrique ploie sous le poids des mandats présidentiels illimités grâce à ses élites corrompues. Un ancien diplomate, aujourd’hui ministre en exercice au Togo, écrivait avec beaucoup de courage à ce propos que l’Afrique est malade de ses hommes politiques [1]. Si nous y intégrons l’affirmation selon laquelle « Un excès enfante un autre excès »[2], la maladie des hommes politiques enfante nécessairement une folie au sommet de l’État en Afrique.

Les crises se succèdent mais les analyses se raréfient sur le continent africain. Les baobabs sont en grande partie détruits par la déforestation, rendant impossible toute forme de palabre dans une Afrique prise en étau entre la modernité et les traditions. Un ministre togolais va révéler ses limites en comparant le régime présidentiel de son pays avec celui des chefs traditionnels. Nous touchons alors le fond, et c’est là qu’il faut comprendre que l’africain n’a pas encore fait sa révolution.

Contenu d’une dictature

La dictature, dans sa définition, ne mentionne pas encore la durée du mandat présidentiel. Si aujourd’hui Kadhafi reste une icône dans de nombreuses régions de son pays, c’est parce que certaines des actions posées par le Guide ont atténué, voire occulté la durée au pouvoir; il en est d’ailleurs de même pour le père Gnassingbé qui avait une gestion assez paternaliste du pays, veillant à une certaine homogénéité dans le partage du pouvoir et la redistribution des richesses du pays. Le président Kagamé du Rwanda a réussi à faire illusion pendant quelques années en s’inspirant de cette politique de partage et de développement commun. On a pu voir au Bénin un président reconduit au pouvoir après 18 années d’une gestion perçue comme dictatoriale.

La longévité d’un pouvoir n’est donc pas un facteur suffisant pour qualifier une dictature. Le véritable défi pour un dirigeant, c’est la décentralisation du contrôle et le partage des bénéfices. Le déficit de la nouvelle génération de dictateurs en Afrique est celui du bon sens; le pouvoir est clanisé à outrance et les recettes sont gérées avec une très grande opacité. C’est l’image du chef d’entreprise qui refuse de partager les dividendes et de nommer des directeurs compétents aux postes stratégiques.

La féminisation du pouvoir au Rwanda est ainsi perçue comme une tendance progressive à maintenir le contrôle sur des prêtes-noms; la gestion opaque de sa flotte aérienne est un exemple de brouillard politique. Au Cameroun et au Zimbabwe, la présence de femmes de tête aux côtés du président en font un dictateur pour une partie de la population. La crise actuelle au Zimbabwe est beaucoup plus liée à l’emprise de l’environnement proche de Mugabe sur le pouvoir, plutôt que sa longévité. Au Congo, le pays appartiendrait à la famille Nguesso (on parle même de famille présidentielle) et à ses frères en loges, ce qui le prépare doucement à une fin tragique.

Gouvernance par l’exclusion

Dans la plupart des dictatures modernes en Afrique, nous assistons à une exclusion de plus en plus systématique des intellectuels, avec la disparition des baobabs. Au Togo, une diaspora estimée à 27% de la population totale est interdite de vote parce que catégorisée de l’opposition. Les fonctionnaires de l’opposition locale trouvent là un bon prétexte pour une nouvelle révolution, mais aucun ne vient avec une proposition de concertation intégrant ladite diaspora. Un peu plus haut, au Burkina Faso, Compaoré et sa famille ont également servi de bouc émissaire pour l’instauration d’une nouvelle dictature. Blaise Compaoré a échoué, tout comme Abdoulaye Wade, dans un excès de clanisation de leur gouvernement. Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets: Faure Gnassingbé, au Togo, s’est entouré de courtisans avides (opposants ET partisans – la fameuse élite corrompue); il prête donc le flanc à la révolte. Certains concurrents exclus l’ont compris et mettent en place les éléments pour le pousser hors du jeu politique. Les partisans, eux, le savent, qui cherchent déjà à le remplacer.

En vieux routier, le père avait saisi la nuance et fixé, dans les années 80 l’âge de départ à la retraite à 55 ans ou à 30 ans de service effectif pour toutes les catégories de personnels de l’État. Cette loi a été réaménagée en mars 2008, permettant à des proches de Faure Gnassingbé de cumuler des fonctions importantes dans le pays sans limitation de durée. La véritable frustration du citoyen, c’est d’être éloigné de la gestion de son avenir. Répondant à Robert Dussey, nous parlerons d’ignorance et d’irresponsabilité: pour éviter un débat sur la durée de son mandat, le prince aurait dû penser à limiter celui de sa cour pour plus d’équité. La chefferie traditionnelle en Afrique tient grâce à de l’appui du roi sur un conseil de sages ou de notables, un groupe dans lequel chacun a son rôle, souvent limité dans la durée. Le chef ne tentera jamais d’usurper le titre de Grand sorcier ou de Justicier dans un village. Les Occidentaux parleront de séparation des pouvoirs.

Les ressources existent; elles sont simplement écartées du jeu politique pour des raisons non justifiées. Comme le Zimbabwe hier, le Togo va aller au dialogue politique et prendre des décisions sans sa population civile et la diaspora; le macadam chauffera encore demain contre le futur dictateur, animé par les exclus d’aujourd’hui.

Épilogue

Le dictateur africain n’accorde pas de pouvoir réel aux membres de sa cour (c’est l’exemple d’un ministre de la communication qui ne gère pas les communiqués de la présidence ou un ministre de la sécurité qui ne contrôle pas certains “corps armés” du pays); il veut s’éterniser au pouvoir parce qu’il se sent redevable envers ces nombreux courtisans qui lui ont ainsi servi de strapontin et ne sont pas couverts en cas d’amnistie. Notre confrère et ami Kossi Efoui parlera d’une compromission coupable des intellectuels dans le cas de son pays le Togo [3].

Dans l’histoire de l’Afrique, il y eut un roi qui voulut sortir de ce cadre traditionnel dans lequel restait confinée la royauté, en intervenant personnellement dans la conduite des affaires de la cité, contre l’avis de ses conseillers (instrumentalisés) ; de là une levée unanime de boucliers, qui contribua à son isolement vis-à-vis de la population et au déclin final de tout son royaume. Ce premier dictateur de la région a un nom: Agokoli, fils du roi Ago.

 

Bruxelles, le 15 novembre 2017
Gustav Ahadji


Notes.

1. L’Afrique malade de ses hommes politiques : Inconscience, irresponsabilité, ignorance ou innocence ? Broché – 21 avril 2008. Auteur: Robert Dussey

2. Un excès enfante un autre excès.
Citation de Henri-Frédéric Amiel – Journal intime, le 5 mars 1868.

3. Source: http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/23/kossi-efoui-les-intellectuels-togolais-se-sont-compromis-avec-le-pouvoir_5204876_3212.html