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Europe: Discriminations

Emigration
France – Liberté, égalité et… discrimination positive

Le chef d’orchestre de la campagne contre les préjugés racistes dans l’entreprise est un patron d’origine algérienne.

John Rossant, à Paris – Business Week

Yazid Sabeg n’a pas oublié le moment où il a décidé d’entrer en lutte contre le racisme en France. Le lendemain des attentats du 11 septembre 2001, son fils de 14 ans, qui fréquente un établissement parisien réservé à l’élite, est pris à partie par ses camarades de classe. Né en France, Karim doit supporter les sarcasmes et les quolibets : “Toi, l’Arabe, rentre dans ton pays.” Sabeg se souvient : “J’ai réalisé que mon pays, la France, n’arrivait pas à admettre son multiculturalisme.”

Depuis, l’homme, qui est à la tête de CS Communication & Systèmes, un groupe de 520 millions de dollars basé à Paris et spécialisé dans la haute technologie, est devenu le porte-étendard d’un mouvement lancé par des entrepreneurs pour mettre un terme à certaines des inégalités criantes qui fleurissent au pays de la liberté, de l’égalité et de la fraternité. Au début de 2003, l’Institut Montaigne, un centre de réflexion parisien, a publié l’appel de Sabeg en faveur de la discrimination positive inspirée de l’affirmative action à l’américaine. Le but déclaré de cette démarche est de mettre fin aux discriminations dont sont victimes ce que Sabeg appelle les “minorités visibles”, notamment les citoyens français originaires du Maghreb ou d’Afrique noire.

Son initiative touche une corde sensible dans un pays qui a été prompt à critiquer l’intolérance hors de ses frontières, tout en feignant souvent de ne pas s’apercevoir qu’elle sévissait aussi chez lui. Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances, apporte son soutien à la proposition de Yazid Sabeg. Dans le même temps, Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d’Axa, le géant de l’assurance et des services financiers, est chargé par le gouvernement de réfléchir aux moyens de faire cesser les discriminations sur le lieu de travail. En octobre 2004, aiguillonnés par Bébéar et Sabeg, les patrons de 40 grandes entreprises françaises, parmi lesquelles Airbus, le groupe pétrolier Total, PSA Peugeot Citroën et le géant de l’acier Arcelor, signent une Charte de la diversité dans l’entreprise. Cette charte n’a pas pour vocation d’instaurer des quotas à l’embauche, mais demande aux entreprises signataires de publier un rapport annuel sur les mesures qu’elles auront prises pour promouvoir la diversité dans leurs rangs.

Des carrières bloquées

Bien que les minorités arabes et africaines représentent plus de 10 % de la population, elles sont quasiment absentes au sein de l’élite française. Le Parlement ne compte pas un seul élu d’origine nord-africaine. De fait, une étude commandée par Adecco, le géant suisse du travail intérimaire, a montré que, à qualifications égales, les demandeurs d’emploi blancs reçoivent trois fois plus de propositions que les candidats issus des minorités visibles.

A 54 ans, Sabeg est une des exceptions qui confirment la règle selon laquelle aucun développement de carrière n’est véritablement possible pour les citoyens français d’origine arabe. Né en Algérie, il a grandi dans le nord de la France, à Lille. Alors que son père chargeait et déchargeait des bateaux, il décroche un doctorat d’économie de l’énergie à la Sorbonne. Muni de son diplôme, Sabeg crée en 1981 son propre cabinet de conseil en énergie, Enerfinance, et traite avec des clients du golfe Persique. Dix ans plus tard, il réunit 60 millions de dollars pour racheter un groupe d’ingénierie français, la Compagnie des Signaux, qui deviendra ensuite CS Communications & Systèmes. Sa nouvelle société vend des systèmes sophistiqués comme ceux qui sont utilisés pour le contrôle aérien ou les péages automatiques. Tout ce parcours n’a cependant pas mis Sabeg à l’abri des discriminations. Malgré la signature de contrats clés entre CS et le ministère français de la Défense, Sabeg devra attendre deux ans avant d’obtenir son certificat de sécurité en raison de ses origines.

Même si de nombreuses sociétés françaises commencent à adopter le concept de la diversité dans l’entreprise, deux camps s’affrontent sur la nécessité d’introduire de nouvelles lois. Sabeg préconise une action énergique qui consisterait par exemple à empêcher les entreprises d’avoir connaissance des nom et prénom – qui dévoilent souvent leur origine – des candidats durant les phases initiales du recrutement. D’autres considèrent que le principe de la discrimination positive est contraire aux lois françaises, qui interdisent de classer les citoyens selon des critères de race ou de religion. “Les pratiques d’embauche doivent évoluer vers plus d’ouverture mais, pour le moment, cela ne peut se faire que sur la base du volontariat”, affirme Laurent Blivet, consultant chez Boston Consulting Group et auteur d’une étude sur la discrimination au travail constatée en France.

Mais Sabeg, Blivet et d’autres se rejoignent sur un point : si rien n’est fait, la France court le risque d’une explosion sociale. Le chômage et la pauvreté règnent en maîtres dans les “quartiers sensibles” où vivent de nombreux Français d’origine nord-africaine. Sabeg redoute que la France ne s’achemine “vers une situation comparable à celle de l’Amérique dans les années 60, quand la frustration et la colère ont conduit à la violence”. Le fait qu’il ne soit plus le seul, dans le monde de l’entreprise, à avoir pris conscience du problème permettra peut-être d’éviter une telle crise

Le Point