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Alioune Diop, fondateur de “Présence Africaine”

Source : P.H. Fofana

Le monde culturel célèbre cette année le centenaire de la naissance d’Alioune Diop, premier éditeur Africain en France et fondateur de la revue “Présence Africaine” qui porte le même nom.

La communauté internationale composée d’artistes, d’écrivains, d’intellectuels, d’anciens compagnons de lutte, sa ville natale, son pays lui ont rendu un vibrant hommage. De nombreuses manifestations ont eu lieu. Au mois de janvier 2010 une plaque commémorative a été apposée sur la façade de sa maison natale à St Louis, un concours de poésie et de langues a été organisé au sein des écoles du Sénégal et finalement un colloque a réuni des universitaires venus de tous les horizons d’Afrique, et de la Diaspora.

Le colloque avait pour thème: “Alioune Diop, l’Homme et son œuvre face aux défis contemporains”

Parmi les invités de marque, on notait notamment la présence de Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature, la plupart des écrivains sénégalais dont l’écrivain, Cheikh Hamidou Kane, auteur de “L’ Aventure ambiguë“ du poète Amadou Lamine Sall, égire de Senghor et celle de l’ancien directeur Général de l’UNESCO Amadou Mahtar Mbow.

Durant 3 jours, les éminents universitaires ont revisité l’œuvre d’Alioune Diop et rappelé le rôle qu’il a joué dans l’émancipation des peuples noirs. Les témoignages que nous détenons de ses contemporains constituent un héritage précieux pour cerner la personnalité captivante de cet homme de culture, généreux et discret qui a marqué cette fin du 20 ème siècle.

Wole Soyinka, Prix Nobel de Littérature et président de la Communauté Africaine de Culture a souligné “le rôle de visionnaire et de missionnaire qu’Alioune Diop a tenu pour la défense de la race noire“. Dans son allocution il a magnifié l’œuvre de l’éditeur sénégalais et a invité la jeunesse à s’ en inspirer.

“Nous avons eu le privilège d’être des compagnons d’Alioune Diop. Il nous a enseignés que l’esprit de guerre contre le barbarisme n’a pas de limite. Ce message est toujours d’actualité. Il appartient aux jeunes de s’en approprier car la culture reste un vaste champ de bataille…Alioune Diop a montré la voie qui mène vers la libération de la pensée négro-africaine“ Wole Soyinka, Prix Nobel de Littérature 1988.

Biographie

Alioune Diop est né le 10 janvier 1910 à St Louis-du-Sénégal, ancienne capitale de l’Afrique Occidentale Française (AOF). Le jeune Alioune fréquente l’école coranique comme tous les enfants de famille musulmane. Cependant ses tantes maternelles catholiques l’initient au dogme chrétien. Alioune Diop se convertit plus tard au christianisme dans la nuit de Noël 1944 à Saint-Flour dans le Cantal. Il reçoit son baptême catholique sous le nom de l’apôtre Jean. Alioune Diop fréquente d’abord l’école publique de Dagana où il accomplit le cycle d’études primaires et ensuite le lycée Faidherbe de Saint Louis-du-Sénégal. En 1931, il réussit son baccalauréat d’études classiques avec latin et grec. Il est appelé la même année sous les drapeaux et fait son service militaire à Thiès (Sénégal).

En 1933, il se rend à Alger, n’ayant pas pu bénéficier d’une bourse d’études pour la France afin d’entreprendre des études universitaires. Il obtient sa licence ès-lettres classiques et un diplôme d’études supérieures. Il enseigne dans divers établissements français, avant d’être élu représentant du Sénégal en 1946 au sénat français. De 1947 à 1980, il dirige la maison d’édition “Présence Africaine” entourée d’un groupe intellectuels Africains, Français et de la Diaspora afro-américaine. Il est décédé le 2 mai 1980 et a été enterré au cimetière du Père-Lachaise à Paris. Lors de son oraison funèbre, le président-poète, Léopold Sédar Senghor l’a qualifié de Socrate noir.

En hommage au premier éditeur francophone d’Afrique noire, l’Organisation Internationale de la Francophonie a crée en 1982 un prix d’Edition Africaine Alioune Diop. Ce prix est décerné tous les deux ans à la Foire internationale du Livre et du matériel Didactique de Dakar (FILDA). La maison de la Culture Douta Seck à Dakar a donné son nom à l’une de ses salles.

Carrière professionnelle

Muni de sa licence ès-lettres, Alioune Diop occupe plusieurs postes dans l’enseignement. Lors des élections de 1948, il perd son poste de sénateur à Paris au profit du Bloc Démocratique Sénégalais (BDS) de Mamadou Dia qui l’emporte. Déjà en tant que sénateur, Alioune Diop se consacre à ses activités culturelles. Il crée la revue “Présence Africaine” en 1947 et deux ans plus tard, la maison d’édition qui porte le même nom au quartier latin de Paris.

Alioune Diop, pionnier dans le domaine de l’édition a ouvert la voie aux écrivains en les faisant connaître. Il a permis ainsi à des écrivains aujourd’hui considérés comme des classiques de la littérature africaine d’exprimer leurs idées et de défendre leurs opinions. Il a eu le courage d’imprimer la thèse de Cheikh Anta Diop “Nations Nègres et Cultures”. En effet, toutes les maisons d’édition parisiennes avaient refusé d’éditer l’ouvrage scientifique du savant sénégalais. Alioune Diop a publié tous les grands écrivains de la littérature africaine et de la Diaspora: Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Jacques Rabemananjara, Sembène Ousmane, Ferdinand Oyono,Richard Wright, George Padmore Aoua Keita, etc… Les plumes les plus prodigieuses de l’intelligentsia noire y publient des articles percutants. Léopold Sédar Senghor sera présent avec 16 articles entre 1947 et 1960.

Grâce à son acharnement sans faille, de nombreux auteurs africains sont sortis de l’anonymat. Alioune Diop a entrepris une véritable croisade culturelle afin d’imposer la littérature et la culture africaines et leur donner ainsi leurs lettres de noblesse.

Les manifestations culturelles: réalisations d’Alioune Diop

Parmi les thèmes qui préoccupent les intellectuels Africains à l’orée de l’Indépendance , la question de l’art revient dans presque tous les débats sous forme d’interrogation: “Pourquoi l’art nègre se trouve-t-il au musée de l’Homme alors que l’art grec ou égyptien se trouve au Louvre?”. Afin de trouver une réponse adéquate à ce souci constant, “Présence Africaine” finance un court métrage “Les statues meurent aussi” en 1953. La commission cinématographique interdit le film durant dix ans sur tout le territoire français en raison de son caractère virulent à l’aube de la décolonisation. La revue aura à plusieurs reprises des démêlés avec les autorités françaises, l’un des numéros consacré aux Antilles sera saisi en 1962 pour “atteinte à la sûreté de l’état”.

Le Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs 1956

Alioune Diop organise le „Premier congrès international des écrivains et artistes noirs“, événement majeur qui aura lieu du 19 au 22 septembre 1956, dans l’amphithéâtre Descartes de la Sorbonne à Paris. Le peintre Pablo Picasso dessine l’affiche qu’il offrira aux organisateurs et mentionne dans sa dédicace
“Artistes et poètes reviennent toujours au même pays natal, quelle que soit leur couleur. Salut fraternel aux Congrès des hommes de culture du Monde noir” Pablo Picasso.

De nombreux écrivains et artistes y ont participé et tous les militants pour l’émancipation des cultures africaines et la libération du joug colonial, tels Bernard Dadié (Côte d’Ivoire), Mamadou Dia, Abdoulaye Wade et Cheikh Anta Diop (Sénégal) Marcelino dos Santos (Mosambique), Boubou Hama (Niger) Paul Hazoumé (Bénin), Amadou Hâmpaté Bâ (Mali), F. Oyono (Cameroun), Richard Wright (USA), Léopold Sédar Senghor, Jacques Rabemananjara. Durant cette semaine, les participants ont abordé tous les thèmes: racisme, discrimination, littérature, histoire, art, économie et politique.

La portée de cette manifestation dépasse toutes attentes. D’éminents intellectuels venus de tous les horizons Europe, Afrique, Caraïbes, Amérique consacrent ainsi les efforts de son promoteur qui qualifie cette rencontre internationale de “bandoeng culturel” faisant allusion à l’entrée du tiers-monde sur la scène politique à la suite de la Conférence de Bandoeng un an auparavant. Il s’agit ici aussi de débattre de la “crise de la culture négro-africaine”.

“[…] Ce jour sera marqué d’une pierre blanche. Si depuis la fin de la guerre, la rencontre de Bandoeng constitue pour les consciences non européennes l’événement le plus important, je crois pouvoir affirmer que ce premier Congrès mondial des Hommes de culture noire représentera pour nos peuples le second événement de cette décennie”.

Ce premier rendez-vous culturel international des peuples colonisés pose avec acuité le problème de l’identité propre à chaque peuple condition sine qua non dans la quête pour sa liberté. À l’issue de ce Premier Congrès qui octroie un statut au monde noir, à ses cultures et civilisations, c’est la Société africaine de culture (SAC) qui voit le jour. Celle-ci a pour mission “d’unir par des liens de solidarité et d’amitié les hommes de culture du monde noir, de contribuer à la création des conditions nécessaires à l’épanouissement de leurs propres cultures” et de “coopérer au développement et à l’assainissement de la culture universelle”.

Elle deviendra en 2006, la Communauté Africaine de culture (CAC), présidée par Wole Soyinka, prix Nobel de littérature. Sur initiative de la Société Africaine de Culture, d’autres événements culturels s’enchaînent tels que: le Deuxième Congrès des Ecrivains et Artistes Noirs à Rome en 1959 puis trois festivals panafricains majeurs: le Premier Festival Mondial des Arts Nègres à Dakar en 1966, le Festival d’Alger en 1969 et celui de Lagos en 1977.
photo de Wole Soyinka

Le Festival Mondial des Arts Nègres 1966

En 1966, le Sénégal invite le monde entier au rendez-vous du “donner et recevoir” cher à son président L.S.Senghor. Alioune Diop organise avec le président Léopold Sédar Senghor, le premier Festival Mondial des Arts Nègres en 1966 à Dakar. Cette manifestation culturelle est une réponse à la question que se posaient les intellectuels Africains à l’aube de la décolonisation en rapport avec l’art. Pourquoi cet art est-il confiné au musée de l’Homme, mettant en exergue ainsi le caractère ethnographique. Pourquoi n’a-t-il pas sa place au Louvre comme l’art grec? Le colloque qui avait pour thème : “Fonction et signification de l’Art nègre dans la vie du Peuple et pour le Peuple” a tenté d’y répondre en réunissant des experts comme feu le père Engelbert Mveng , jésuite Camerounais. Pour le Sage de Bandiagara: “Le festival est un moment crucial pour dire,frères africains, ce que nous avons depuis toujours à dire, et qui a jamais pu franchir le seuil de nos lèvres”

Amadou Hâmpaté Bâ.

Le Festival de Lagos en 1977 a donné lieu à de nombreuses controverses. L’appelation “Festival Mondial des Arts Nègres” a été vivement critiquée par les Anglophones comme relique du passé colonial. Le terme “Nègre” a été remplacé dans l’intitulé de la conférence par “Civilisation noire et Education”.

Alioune Diop et le rôle de la femme Africaine

Si les femmes sont demeurées dans l’ombre au cours de ces différentes rencontres, elles ont cependant marqué de leur empreinte leur présence. En effet, parmi celles qui ont pris part aux travaux de la première rencontre, on notait outre la présence de Mme Christiane Diop, celle de Mme Price-Mars sur la photo de famille. Moune de Rivel, chanteuse originaire de la Martinique et Joséphine Baker, la célèbre artiste des années 1930 à 1975 ont fait parvenir un message de félicitations tout comme Paulette Nardal.

C’est dans cet esprit d’ouverture qu’aura lieu le colloque de la femme à Abidjan en 1972 avec comme titre: “La Civilisation de la Femme dans la tradition africaine”. L’ouvrage publié est une mine d’or sur les divers aspects du rôle de la femme dans la société traditionnelle et post-indépendante.

Le centenaire d’Alioune Diop: le colloque de Dakar mai 2010

Ce colloque s’insère dans le cadre de la célébration du centenaire de la naissance du fondateur de la Revue et de la Maison d’édition”Présence Africaine“ à Paris.

Sous la présidence effective du chef de l’Etat sénégalais, Me Abdoulaye Wade a inauguré les travaux du colloque qui a pour thème: “Alioune Diop, l’Homme son oeuvre face aux défis contemporains”. Dans son allocution le chef de l’Etat a invité les participants à s’ inspirer de la pensée et de l’action d’Alioune Diop. Il a évoqué les liens d’amitié qui l’unissaient à son compatriote, son aîné alors qu’il était étudiant en France “J’ai eu la chance de partager son combat dédié à la noble cause”. Diop l’a incité à écrire sur les étudiants Africains pour le numéro spécial consacré à cette thématique: „Etudiants Africains” et l’a invité à participer au Congrès historique des “Ecrivains et Artistes Noirs” de 1956. Parmi les témoins oculaires de cette grande rencontre internationale, on peut citer Me.Abdoulaye Wade et Marcelino dos Santos, poète et homme politique du Mosambique, tous deux participants de l’actuel colloque consacré au centenaire d’Alioune Diop. Ils sont les rares témoins du Congrès de Paris qui peuvent témoigner aujourd’hui encore du dynamisme qui animait les participants Africains et ceux de la Diaspora.

Me Wade a exhorté son auditoire à poursuivre l’oeuvre de l’éditeur sénégalais dans le sens de la Renaissance Africaine. Il a notamment déclaré:
“Il (Diop )a frayé le chemin en le balisant puis s’en est allé. C’est à nous de continuer son oeuvre pour le triomphe des valeurs qui faisaient son combat”,
Pour le chef de l’exécutif sénégalais, il est grand temps de : “dépoussiérer l’histoire et de remettre les pendules à l’heure.” Dans son allocution, Me. Wade Président de la République a rendu un hommage solennel à Mme Christiane Yandé Diop en l’appelant de façon très affectueuse “ma sœur”. Il a achevé son discours par ces mots en s’adressant à Mme Christiane Diop: “Vous avez avec une présence lucide et tenace, tenu debout Présence Africaine pour que la maison garde son éclat des jeunes années. Vous vous êtes battue pour que ne soit pas trahi le serment fait par les intellectuels africains devant Alioune Diop.“ Me Abdoulaye Wade

Le mot du ministre de la Culture du Sénegal: Dr. Serigne Mamadou Bousso Lèye

Les travaux se sont achevés par la lecture de résolutions et recommandations afin que la mémoire d’Alioune demeure vivace pour les jeunes générations et que les intellectuels continuent à poursuivre son action.

Avant de déclarer clos les travaux du colloque, le ministre de la culture,Dr. Serigne Mamadou Bousso Lèye a tenu à magnifier la tâche que Mme Diop a entreprise depuis le décès de son époux en 1980 et l’a remercié en ses mots: “Permettez-moi, avant de terminer, et à la suite du Chef de l’Etat, de rendre un hommage solennel à Madame Yandé Christiane Diop, l’épouse, l’héritière, celle qui aura eu, de l’avis unanime, à poursuivre, avec courage, abnégation et lucidité, l’aventure de Présence Africaine pour que cette maison symbolique continue à entretenir la flamme de la pensée positive. Au bénéfice premier de l’Afrique. Je voudrais, enfin, au nom de Monsieur le Président de la République, déclarer officiellement clos le Colloque international “Alioune Diop, l’homme et l’œuvre face aux défis contemporains”. Dr. Serigne Mamadou Bousso Lèye

Conclusion

Alioune Diop a joué le rôle de catalyseur en rassemblant toutes les énergies afin qu’elles puissent relever les défis qui se posaient à la première génération d’intellectuels. Aujourd’hui le combat ne se limite pas seulement à la revendication culturelle ou politique, mais il emboîte le pas à celle économique et humanitaire, aux droits de l’homme et à la dignité parfois bafouée de la femme en vue de la recherche de la paix dans un monde en proie à la violence.

Il a fait connaitre les valeurs culturelles du monde noir et son apport à la civilisation de l’universel. Alioune Diop a relevé le défi en créant une maison d’édition et une revue littéraire et culturelle qui ont restitué la dimension universelle de l’homme noir. La revue littéraire et culturelle Présence Africaine, héritière du panafricanisme et des négritudes d’avant la Seconde Guerre mondiale a été de tous les combats et à la pointe des mouvements politico-culturels d’Afrique.

Le nom d’Alioune Diop demeurera à jamais intimement lié à la revue et à la maison d’édition “Présence Africaine” qu’ il a fondées.

Dr. Pierrette Herzberger-Fofana
Membre du conseil municipal d’Erlangen
Pierrette.Herzberger-Fofana@sz.phil.uni-erlangen.de