POINT PRESSE

PROJETS

Mémoire d’esclaves

Inscrite à l’agenda de l’UNESCO en 2004, la Journée Internationale du Souvenir de la Traite Négrière et de son Abolition (JISTNA) est célébrée le 23...

La banque de demain…

Afrology a lancé en 2020 un projet de création d’une banque d’épargne et d’investissement. La Banque de demain regroupe des africains de la diaspora répartis...

“Victor” un roman de Michelle Fitoussi

Victor” (1) 

Sixième œuvre de fiction de Michelle Fitoussi, « Victor » apparaît comme un roman multidimensionnel se fondant sur un récit polyphonique. Et celui-ci peut se résumer par les phrases suivantes du texte : « Si Guillaume et elle [[Sylvie sa femme] n’avaient pas commis l’erreur de l’accueillir [Victor] chez eux, elle n’aurait pas rencontré Courcelle. Ils n’en seraient pas là aujourd’hui » (p.320). Guillaume, Sylvie, Victor et Courcelle, quatre des principaux personnages qui marquent l’histoire rapportée.

Un récit à rebondissements psychologiques, avec une foultitude de personnages, voilà comment se présente ce roman de Michelle Fitoussi dans une écriture qui épouse la modernité de la société dans laquelle évoluent ses personnages. « Vieux monsieur solitaire, cherche foyer aimant et chaleureux pour vivre heureux. Ecrire au journal Global qui transmettra », telle est l’annonce qui va produire tout un roman captivant.

Sauvé du froid et de la solitude de Paris par la famille Saillard, le vieux Victor, ancien truand ayant jeté derrière lui son macabre passé qui sera plus tard découvert par un détective privé, se voit rattrapé par son passé. Il joue le jeu avec le journal Global qui réalise un reportage sur son adoption par la famille Saillard. Un reportage a succès qui lui fait gagner beaucoup d’argent ainsi qu’au journal et à la famille Saillard. S’étant fait remarquer par sa culture, Victor gagne la confiance de toute la famille ainsi des journalistes Olivier Courcelle et Alice, avant de retomber dans son passé de truand. Ainsi avec l’alcool et la cigarette, il ne peut que récidiver : les deux enfants de Guillaume et Sylvie se dépravent en voulant imiter le vieux Victor. Le journaliste Olivier Courcelle qui a connu la famille Saillard par l’intermédiaire du reportage sur Victor, tombe amoureux de Sylvie qui fait cocu son mari. Ce dernier tombe naïvement dans le piège de Victor qui l’entraîne dans une affaire de mines de diamant quelque part en Afrique qui devrait lui rapporter beaucoup d’argent en misant ses économies. Marquée par le comportement de Victor qui a changé brusquement, Sylvie décide de le mettre dehors.

Mais elle change d’avis quand le vieux truand le fait chanter : il les avait filmés, elle et Courcelle en pleins ébats sexuels au cours d’un dîner en famille. A partir de ce moment, le vieux Victor se croit permis de tout et devient le maître de la maison car Guillaume voit encore en lui l’image paternelle et que Sylvie ne peut rien contre lui à cause du secret qu’il détient. Mais le récit prend une autre tournure quand la femme de Guillaume, dans l’exercice de mon métier, rencontre un détective privé qui doit va l’aider à prendre le dessus sur Victor. Le travail de celui-ci met à nu le passé sordide, machiavélique et exécrable de Victor qui va terminer ses derniers jours dans une maison de retraite médicalisée à la grande surprise de Guillaume ; il vient de découvrir la face cachée du vieux truand. Au sortir de la maison de retraite où il s’est pris au vieux Victor mourant ou peut-être déjà mort, Guillaume redécouvre Paris qui a failli accepter son suicide consécutif à l’infidélité de sa femme. Guillaume, un autre homme qui vient de découvrir la naïveté de la vie à travers le triptyque Courcelle – Sylvie et Victor. Dehors, à l’extérieur de la maison de retraite, il pourrait dire, comme le jeune Rastignac dans un roman de Balzac après l’enterrement de Goriot à Père Lachaise : « Paris à nous deux ! ».

Roman dont le récit avance par rebondissements évoquant plusieurs destins, il se découvre certains personnages qui participent à la (re) découverte du héros principal qui n’est autre que le vieux Victor dans son passé qui rattrape son présent. Et c’est avec la technique du portrait que l’auteure fait entrer le lecteur dans chaque personnage dont le destin influence l’ensemble de la diégèse.

Guillaume : un « Bovary » du XXIè siècle

A l’image d’Emma Bovary de Flaubert, Sylvie trompe son mari en se laissant séduire par Courcelle. La puissance du sexe prend le dessus sur la volonté de sauvegarder la fidélité dans le mariage. Sylvie se donne à Courcelle comme l’avait fait Emma en se livrant à Rodolphe et autres. Elle cocufie son mari au cours d’une soirée, profitant du sommeil des enfants et de l’effet de l’alcool sur les autres convives. Et devant le bonheur que lui fait miroiter Courcelle, elle arrive même à penser au divorce. Quand Guillaume découvre l’immoralité de sa femme par l’intermédiaire du vieux Victor, il pète un câble. Il ne comprend pas que lui, le fidèle mari soit trompé par sa femme : «Pourtant il n’avait pas démérité. Il ne l’avait jamais trompée. Il l’avait aimée. Il l’aimait. Il l’avait choyée, entourée, gâtée. » (p.339).

Devant cette triste réalité, il pense que le meilleur moyen d’oublier cet affront serait le suicide. Mais cette idée sort de ses pensées quand il réalise l’avenir de ses enfants. Sylvie l’aurait-t-elle réellement trompé, comme l’ont prétendu Victor et son acolyte Bruno ? Il décide de rencontrer sa femme pour voir clair dans ce problème qui le tracasse. Et il ne sera pas étonné quand il va se rappeler sa conversation au téléphone avec Courcelle à propos de Sylvie qui est partie du domicile conjugal sans laisser de traces : « Allô, Guillaume ? (…) Vous savez, vieux, je vais vous dire. Je crois que vous avez faux. C’est votre faute si elle est partie. Vous êtes beaucoup trop mou. Les femmes ont beau revendiquer leur féminisme, l’égalité avec les hommes et tout le toutim, c’est du pipeau. Elles aiment être dominées. Elles veulent des maîtres, pas des serpillières. Allez, zou, sortez- moi le Tarzan en vous. Faut lui montrer que vous êtes le chef. » (p. 328).

Guillaume, un homme bien assis socialement, n’ayant aucun souci financier, qui comprendra après le passage de Victor dans sa maison que « l’homme est un loup pour l’homme » à travers le comportement imprévisible de ce dernier. Réalisera-t-il vraiment qu’il s’est fait cocu ? La triste réalité du passé de Victor ainsi que son comportement désagréable découvert avant son admission dans la maison de retraite médicalisée va reléguer au second plan l’infidélité de sa femme qu’il n’arrive pas à accepter : « Il fallait qu’il voie Sylvie, qu’il lui parle. Qu’il entende la vérité de sa bouche. Peut-être les autres s’étaient trompés ? Peut-être avaient-ils menti pour le déstabiliser ? (…) Et si Sylvie était innocente ? » (p.342).

Sylvie : l’image de la femme insatisfaite sexuellement

Puisque son mari ne « s’occupe » pas d’elle, Sylvie se laisse séduire par Courcelle car celui-ci, dans l’exercice de son métier, est entré sans problème dans la famille des Saillard. Brûlée par les feux de l’amour allumés par Courcelle qui l’emmène à l’orgasme, elle se laisse baiser dans la maison conjugale, se croyant hors de portée d’un quelconque regard. Mais dans sa précipitation amoureuse, son amant va oublier de prendre des précautions : « Courcelle ressortit (..). La dernière porte était ouverte. Il entra sans la fermer tout à fait et se précipita sur Sylvie, la prit dans ses bras et la renversa sur le lit (…) Courcelle se colla contre elle, déboutonna son chemisier, empoigna ses seins sous le soutien-gorge à balconnet.

Ses mains écartaient son string, ses doigts s’insinuèrent dans son sexe » (pp.207-209). Mais cet acte qu’elle croyait secret va bousculer son destin quand elle voudra se débarrasser du vieux Victor qui serait à l’origine de la débâcle de sa famille. Celui-ci avait filmé ses ébats sexuels avec Courcelle avec son portable. Mais le chantage de Victor sera de courte durée car Sylvie, contre toute attente, renversera la situation avec l’aide d’un de ses patients, détective privé qui va s’occuper de Victor en révélant au couple Saillard au bord de l’éclatement, la face cachée et inimaginable de l’ancien SDF.

Victor, « v » comme victoire, Victor, « v » comme voyou

Victor, c’est le Vautrin du « Père Goriot » qui s’est réveillé au XXIè siècle. Un homme qui s’est joué des journalistes ainsi que de la société dont un échantillon est représenté par la famille Saillard qui a accepté de l’adopter. L’homme qui se montre aimable et adepte de Victor Hugo dont il récite les textes sans difficultés n’arrive pas à jouer jusqu’au bout le personnage qu’il incarne dans le reportage qui lui a été proposé.

Chasser le naturel, il revient au galop, Guillaume qui croit à des humeurs provoquées par l’état sénile de Victor sera surpris quand il découvrira sa véritable personnalité par l’intermédiaire du travail du détective privé de Sylvie. Ainsi, on peut dire que ce dernier se découvre au début du récit comme une victoire sur son passé de truand car il arrive à se faire adopter en se découvrant aux yeux de la presse et de la société comme un véritable pauvre SDF, un véritable clochard abandonné à lui-même dans le froid de Paris. Et la proposition de la jeune journaliste Alice de réaliser un reportage sur sa situation sociale pour son stage, le replace dans la société des hommes où il retrouve sa dignité. Mais cette victoire sur la société ne dure pas longtemps car l’homme se voit rattrapé par son passé de voyou.

L’image de l’Afrique dans « Victor »

Elle est représentée de façon anodine dans le texte où la majorité des personnages sont des Blancs. Et c’est à travers le reportage d’Alice en compagnie de Courcelle que l’auteure nous fait découvrir une des réalités africaines qui définit le respect des personnes âgées dans la société et qui ne sont jamais abandonnées à elles-mêmes. Dans ce roman de Michelle Fitoussi, le lecteur découvre une dimension de l’humanisme africain à travers le personnage du Malien Mamadou que les journalistes rencontrent, à la recherche d’une famille adoptive pour Victor.

Ils sont surpris de la réaction de l’Africain en ce qui concerne l’adoption du vieux, malgré la situation précaire de sa famille nombreuse : « Chez nous, expliqua Mamadou, les jeunes s’occupent des anciens, nous nous connaissons tous. Ce n’est pas bien que Victor vive seul. On ne peut pas s’en sortir sans la solidarité de la famille » (p.104).

« Victor » : un roman qui épouse la modernité du temps

Le roman de Fitoussi se définit moderne à travers la société dans laquelle évoluent ses personnages gagnés par les nouvelles technologies. Ils connaissent le téléphone portable (cf. les textos des pages 169 et 170) et l’ordinateur avec son corollaire tel l’Internet. La modernité du temps se remarque aussi dans Paris où se côtoient tous les vices du monde actuel comme la désinvolture et le sadisme chez Victor, l’immoralité des hommes et des femmes à travers l’infidélité de Sylvie et Courcelle.

Si le roman se voit moderne au niveau du signifié, il exhibe aussi quelques aspects propres à l’auteure dans le dé-roulement du récit. On voit par exemple au 2 de la troisième partie (pp. 275-279) comment Sylvie se dédouble quand elle se présente, tantôt dans son monologue intérieur qui fait suite au chantage de Victor avec son portable, tantôt dans ses remarques dialogiques avec ses patients. Et ces récits enchâssés donnent une autre dimension esthétique au scriptural du roman.

Pour conclure

« Victor », un roman qui dévoile pour l’auteure une autre façon de créer une fiction qui dénonce dans son déroulement un apport implicite du style journalistique qui vient à certains moments se greffer sur la technique du polar à travers le personnage du détective privé. « Victor », un texte plein de rebondissements événementiels et qui montre que l’auteure est plus qu’une romancière.

Noël KODIA

(1)Fitoussi (Michelle) Victor, Editions Grasset, Paris, 2007, 373 pages.

L’auteure
Michelle Fitoussi est née en 1954 à Tunis. Elle est actuellement éditorialiste au magazine Elle. On lui doit plusieurs romans publiés chez Grasset dont Cinquante centimètres de tissu propre et sec (1993), Un Bonheur effroyable (1995), Le Dernier qui part ferme la maison (2004), et d’un recueil de nouvelles, Des Gens qui s’aiment (1997).
Avec Malika Oufkir, elle a réalisé un témoignage intitulé La Prisonnière, traduit dans plusieurs pays.