LES DOSSIERS

Congo: Le manifeste fédéraliste

I – LA STRUCTURE SOCIALE DU CONGO

Le Congo comme tous les pays d’Afrique noire présente une société plurielle constituée d’ethnies elles-mêmes regroupées en Région. Un système lignager qui a édifié un solide noyau affectif et identitaire.

Ce phénomène d’ethnicité a pris tout son essor au travers de l’urbanisation qui favorise le rapprochement géographique de plusieurs identités et provoque aussitôt une réaction de regroupement/rejet. La désignation ethnique devient alors une auto affirmation puis une autoglorification, qui puise sa référence dans une langue, un territoire, un culte religieux, un principe de parenté, une technique, voire une tradition alimentaire. Elle rapproche les ressemblances et se ferme aux dissemblances. L’ethnie est le résultat d’une mobilisation sociale identitaire et d’une conjoncture politique particulière. C’est pourquoi, tout bien considéré, l’ethnogenèse des identités régionales congolaises est liée aux dominations coloniales, nationales et étatiques.

L’identité régionale transcende le « traditionnel » et le « moderne » ; sa pérennité résulte justement d’une double adaptation aux contraintes du présent et aux interprétations conflictuelles – parce que socialement marquées- du passé. On est ainsi passé de l’ethnie comme produit historique à l’ethnie comme mouvement social : la culture s’est métamorphosée en idéologie, la survie ethnique s’est substituée au patriotisme mort-né.

Face à l’adversité, la Région apparaît comme une micro nationalité chauvine ; ce qui rend son intégration impossible dans un pays unitaire quand s’instaure des rapports de caste entre Région(s) gouvernante(s) et Régions gouvernées. L’état unitaire requiert un patriotisme national et égalitaire que notre structure sociale profondément bâtie sur des antagonismes lignagers, ne peut offrir.

Les 43 années d’indépendance qui se sont caractérisées par une attitude politique officielle allant dans le sens d’ignorer les spécificités locales, n’ont d’ailleurs fait que les renforcer et chaque année, l’idéal de l’état nation est encore plus loin, démentant l’optimiste de façade des discours politiques.

Ne pouvant plus poursuivre dans une hypocrisie politique déphasée, léthargique si non suicidaire, ne pouvant décréter la suppression brutale des particularismes régionaux au risque d’ethnocides systématiques ou préférentiels, il ne reste plus logiquement qu’à dénoncer l’inadéquation du système unitaire pour nos sociétés plurielles, et à instaurer un fédéralisme respectueux des valeurs de chacun et de la revendication d’autogestion des composantes de notre pays en synchronisant équitablement au sommet, les efforts de tous.

II – LES ANTAGONISMES DE L’ETAT UNITAIRE SUR UNE SOCIÉTÉ PLURINATIONALE

Il y a deux formes de tribalisme au Congo : le macro tribalisme et le micro tribalisme. Le premier divise le Congo en deux zones géographiques et oppose le Nord au Sud sous l’arbitrage du groupe Téké au centre. Le second, micro tribalisme, oppose au sein d’un même groupe, des sous-groupes. Ce dernier, le micro tribalisme, est conciliable face à l’adversité. Il vire plus ou moins facilement vers une fusion régionale de la défense identitaire.

Le macro tribalisme est lui plus radical. La tentative d’alliances politiques croisées qui aurait pu confondre cette forme de rivalité [PCT – MCDDI / UPADS – RDD]…n’aura duré que 4 ans, dans un climat de méfiance tendue qui a fini par exploser en Juin 1997.

Le rêve d’unir le Congo sous une coupe unique, dans la quête d’un état nation mythique s’est mué en cauchemar.
L’identification automatique du chef des institutions à son ethnie d’appartenance et le positionnement prévisible des différents groupes selon leurs affinités à l’ethnie du chef des institutions nationales ne se sont jamais démentis après 6 passages de témoin, de Youlou à Sassou.

Au final, le système unitaire a laissé se développer au pouvoir la rotation d’un système d’apartheid radical, avec la suprématie d’un groupe ethnique ou régional (tribu – classe diraient certains) qui règne en maître sur les autres groupes, impliquant en conséquence des privilèges inhérents aux castes ethniques du pouvoir et toutes les oppressions d’autres parts – réelles ou supposées – tels que le droit de propriété sur l’Etat et celui de vie ou de mort sur les populations au nom de la conservation de cette supériorité.

Une configuration qui encourage le repli, favorise l’ambiance du complot permanent, avec son cortège de méfiance, d’exclusion, d’intolérance, de haine interethnique et d’épuration au programme.

Depuis 1960 une autre réalité sociale résultant de l’inégalité démographique entre les ethnies peut être dégagée. Le Congo a connu 6 présidents dont trois du Nord et trois du Sud : les 3 nordistes sont des militaires, les 3 trois sudistes sont des civils. Il apparaît que la faveur démographique du Sud face au Nord sous peuplé donne aux premiers une foi au suffrage populaire, tandis que la frange septentrionale de notre pays ne peut compter que sur la maîtrise des leviers militaires pour accéder au pouvoir et s’y maintenir. Pour résumer, on dira que les sudistes ont plus confiance en la démocratie élective. Pas parce qu’ils sont plus démocrates que les autres, mais parce que le vote majoritaire dans un Etat ethnique unitaire, favorise leurs groupes identitaires numériquement avantagés.

Le rattachement politique et la foi partisane se faisant sur cette base là, nos sociétés ethniques montrent les limites de la démocratie majoritaire et du suffrage universel direct dans un système unitaire. Celle-ci est pervertie et déroutée de son but : la majorité est assurée à un groupe identitaire fixé par la nature, tandis que l’autre groupe est invité par le système, au mieux, à occuper les strapontins du pouvoir ou, au pire, à se ranger dans l’opposition définitive avec les frustrations que cela implique.

Avec l’instauration du multipartisme et des conflits ethniques sanglants qui s’en sont suivis, la sécurité s’est ajoutée sur les motifs du repli identitaire. La hargne avec laquelle les pouvoirs en place n’ont pas hésité depuis 1992 à massacrer l’ethnie opposée au moindre conflit pour maintenir les distances dans cet apartheid, a provoqué au sein de la population non seulement un soutien indéfectible et inobjectif pour ses leaders régionaux, mais aussi une totale apathie envers les « compatriotes » de l’autre bord. Cette fois-ci l’ethnie a trouvé une raison dialectique pour être. Tout ceci éloignant toujours un peu plus l’objectif d’intégration nationale que prône traîtreusement le discours officiel depuis l’indépendance.

III – LA DÉRIVE DES PARTIS POLITIQUES CONGOLAIS.

Les partis politiques sont les conséquences des conflits sociaux dont ils ont surgi. Un parti ne vient pas créer les raisons de son existence, celles-ci lui préexistent. Il existe un climat, un foyer ou une revendication sociale profondément encrée qui constitue un fumier sur lequel se développent les partis politiques. En Europe, les partis de gauche sont le prolongement politique des mouvements ouvriers du XIXème siècle ; les partis démocrates-chrétiens puisent leur substance dans les réseaux de sociabilité catholiques, et les radicaux descendent des mouvements laïques et anticléricaux ; tandis que les écologistes reprennent le terrain laissé par l’insuccès des partis paysans et agrariens.

Le terrain est parfois préparé par des associations ou des groupes informels qui font planer une revendication fondamentale dans la société : les « Diables Noirs » équipe de football congolaise ont longtemps été le principal foyer d’un sentiment de représentation politique et de contestation des originaires de la Région du Pool et du Sud tout entier, face à la confiscation du pouvoir par les nordistes. Le MCDDI n’a fait que récupérer ce terreau.

Que les partis politiques confirmés et persistants soient d’essence ethnique au Congo, il ne pouvait sociologiquement en être autrement car le conflit majeur chez nous est la représentation ethnique. Par contre, toute tentative d’encrer nos partis selon les clivages occidentaux (principalement gauche/droite) ont échoué parce qu’il n’existe pas dans la société congolaise des conflits sous cet ordre là.

Les partis qui insistent sur cette voie sont qualifiés d’artificiels et restent généralement embryonnaires en se muant en groupe d’intérêts privés, accrochés aux prébendes du pouvoir et sans assise populaire.

Des partis fédéralistes ont toutes leurs chances de prospérer parce que le Congo est naturellement et socio – structurellement une fédération ethnique, dans laquelle la revendication d’une représentation de tous en gardant leur identité existe fortement, si elle n’est la principale revendication politique.

En général, les partis récupèrent des conflits sociaux, pour s’en servir comme arme contre leurs opposants ou pour justifier des revendications parfois même éloignées du conflit en cause. Ce qui leur vaut des accusations d’opportunisme. D’où une certaine impopularité. Pourtant, les partis par ce même rôle d’agents des conflits et de médiateurs, contribuent également à l’intégration du conflit. En effet, une fois politisé, le conflit est arbitré par les partis, donc canalisé, géré et négocié : il est intégré à la vie politique. Lorsqu’ils assument correctement leur fonction médiatrice, les partis éliminent tout risque de guerre civile et contribuent très largement à l’éradication de la violence politique.

Ce qui fait défaut chez nous et qui est à l’origine du fiasco de nos partis politiques dans leur mission sociale, c’est qu’ils rechignent à avouer que les véritables intérêts qu’ils représentent et qui sont la quintessence même de leurs formations sont profondément ethnico – régionales. Au final la politique chez nous s’articule sur deux axes superposés : l’un à la lumière – le prétexte avoué, l’autre dans l’ombre – la réalité du conflit ethnique. Un climat qui empoisonne les relations politiques fausse les cartes et fait que ces conflits importants ne sont plus canalisés par les partis et deviennent source de violence à cause du dialogue de sourds.

Pour espérer l’émergence de partis d’idées et constructifs, dont l’adhésion populaire sera objective, il faudra déplacer le champ d’action politique du centre vers l’intérieur des Régions dans un groupe homogène. Ainsi au niveau national symbolique les partis défendront les intérêts directs de la Région, tandis qu’au niveau régional où s’articule l’essentiel de la politique de terrain, ils resteront objectifs. Le risque de conflit de sang s’écarte par le fait que l’action de chaque parti régionale ne croise pas celle d’un autre parce qu’ils ne combattent plus pour exercer le même pouvoir au même endroit, et il n’existe plus de pouvoir de supériorité des uns sur les autres.

IV – LA CORRUPTION DES HOMMES ET DU SYSTÈME

S’il existait un endroit où les hommes de pouvoir ne sont pas tentés par les abus divers et que leur qualité suffise, il n’y aurait plus besoin de lois dans cet endroit. C’est la complexité des lois qui fait que les chefs des nations réputées et confirmées démocrates s’appliquent chez eux, et l’absence ou la transgression facile de ces lois qui rend ces mêmes hommes immoraux dans les relations internationales, de Brazzaville à Bagdad.

La corruption du personnel politique congolais est un facteur favorisé par la corruption ou l’inadéquation du système lui-même. Dans une société où l’arbitrage des masses est conditionné par la subjectivité ethnique, les hommes de pouvoirs peuvent tout se permettre, assurés de la complaisance du groupe qu’ils représentent.

Corruption, abus de pouvoir, vies dissolues, paresse, fausses promesses, incompétence, népotisme, crime financier ou de sang, absence d’un programme politique concret… tout ceci leur est pardonné tant que le leader défend l’honneur et la représentation du groupe ethnique.

Quant à l’élite régionale (cadres, chefs coutumiers, grandes personnalités), elle espère profiter au passage de la corruption du leader, selon la philosophie que l’enrichissement des membres du clan assure une force qui garantit l’indépendance du groupe et le met à l’abri de la subordination par les autres ethnies. L’intérêt de l’ethnie ou de la Région, justifie tous les arrangements avec la morale.

Sous d’autres cieux, le bénéfice et la justification de tels écarts auraient été attribués au sacrifice que requièrent la nation et la patrie. D’où, les français et les américains excusent tacitement les dégâts causés par leurs compagnies pétrolières à l’étranger, même si cela blesse la morale et que quelques uns s’en mettent plein les poches au passage. L’intérêt suprême de la nation le justifie. Chez nous l’intérêt suprême qui justifie tout dans le cœur de l’individu, c’est la Région.

Laisser s’enfoncer le pays dans l’inertie, s’en prendre aux caisses de la République ou à la vie d’autres congolais est dénué de toute émotion et de la part des politiques et des populations qui les soutiennent respectivement aux rattachements ethniques. N’avons-nous pas vu pointer des menaces de guerre civile parce qu’un ancien ministre des finances ou encore un ancien chef de guerre étaient emmenés à rendre des comptes devant les tribunaux, les deux pour des accusations – détournement de fonds pour l’un et séquestration pour l’autre – logiques par leurs « fonctions » ? Ah, procès ethniques… Mais bien sûr !

Le mythe de l’homme providentiel au dessus de tout soupçon qui conduira une génération spontanée de politiciens sains est un rêve qui s’accroît auprès des congolais, qui se retrouvent comme réduits à croire au père Noël par désespoir. La thèse laxiste qui invite à attendre quelques décennies ou quelques siècles de plus pour que disparaissent les velléités ethnocentriques sous l’effet magique du temps, se contredit par la courbe sans cesse croissante de la montée des particularismes et par les trop lourds dégâts humains causés par le système actuel, qu’il serait criminel de laisser persister.  Autant les pieux appels politiques à la conscience nationale sont restés lettres mortes si non qu’ils ont agit inversement au message.

Le Congo s’est transformé en une famille polygamique où les 10 épouses rivales et leurs enfants cohabitent sous le même toit ; chaque enfant essayant de prendre le contrôle de la maisonnée avec le soutien de ses frères de sang après avoir massacré les autres demi-frères, en jurant ensuite gouverner au nom du père et dans l’intérêt de tous les enfants du père. Alors qu’au fond, la patrie est devenue la fratrie utérine sans que personne n’ose l’avouer au grand jour et sans que nul n’en soit plus dupe. La nation est une illusion à laquelle personne ne croit plus.

Existe-t-il dans ce foyer un enfant qui échappe au schéma, et qui soit capable de se surpasser pour servir toute la famille ? Certainement. Mais la famille le veut-elle ? Même si le pardon est obtenu, nul ne pourra plus ôter la méfiance forgée par le souvenir des douloureux affronts passés. Cette méfiance causera sa perte quelque soit ses talents et sa volonté. Au lieu d’espérer sur l’arrivée de ce messie utopique, une société moderne devrait plutôt confier sa destinée à une loi bien en phase avec elle-même et munie de tous les garde-fous garantissant son applicabilité. Il ne reste qu’à se résoudre à loger chaque épouse dans sa case bien à part pour que chaque fratrie s’organise dans la confiance, la paix, le dévouement à la tâche, la conscience du bien collectif, le respect et la solidarité fraternelle. Cela s’appelle le fédéralisme.

V – A LA RECHERCHE DU PATRIOTISME ET DE LA NATION FANTÔME

La tradition française, définit la nation comme un vouloir-vivre collectif, une communauté de destin entre des individus s’étant librement déterminés. En revanche, les cultures des pays fédérés comme la Suisse ou l’Allemagne la conçoivent comme l’association objective de sous groupes culturellement définis à la base. Dans les 2 cas, l’égalité entre ceux qui composent la nation (individus ou groupes) est sine qua non.

La nation s’identifie d’abord à un territoire puis, à la volonté clairement exprimée des composants égaux de dépasser la tradition pour l’objectivité communautaire. La nation ne naît pas d’un décret comme la déclaration d’indépendance. Elle n’est pas un slogan, elle se vit.

Le discours politique congolais se révèle démagogique et hypocrite. Les mots clés de celui-ci, froidement empruntés au lexique de l’ancien colon (patrie, nation, union) apparaissent vides de tous sens, puisqu’ils ne sont vécus d’aucune manière ni montrés en exemple nulle part. Les politiques se retrouvent à exalter une nation d’individus égaux aux attaches culturelles négligeables, alors que nul n’en voit la manifestation. Plus personne n’y croit, pas même ceux qui discourent à la tête de leurs partis ethniques. Quant au territoire, il n’a de commun que le siège conjoint aux Nations Unies. Les quelques alibis politiques, nordistes de services dans l’ERDDUN (opposition) ou domestiques bakongos au FDU (pouvoir) ne changent rien à la perception et aux effets réels de la politique clanique congolaise.

Or, il s’avère que sans l’attachement général à une certaine idée partagée de la communauté, ce qui se nomme le patriotisme, l’émergence d’une conscience collective et d’un engagement vers le développement ensemble et dans la paix est introuvable. La méfiance est au cœur de la société, la différence en est la norme.

Le système politique actuel encré dans un unitarisme injustifié dans une société plurielle qui exige des populations le nationalisme ou rien, a surtout eut comme réponse « rien ! » plutôt que le moindre signe d’une avancée quelconque vers ses pieux objectifs.

Pourtant, on ne peut pas conclure que ce moteur essentiel du développement n’existe pas au milieu des congolais. Mais juste que ce patriotisme là n’est pas national, il est régional. Il nous faut donc un nouveau pacte républicain, scellant l’accord entre peuples, avançant chacun au nom de sa Région, pour déterminer un pouvoir national librement consenti, et collectivement partagé, exprimant la volonté de vivre ensemble uni, dans le respect de nos diversités.

Il est temps de démentir le postulat qui prétend que l’enjeu démocratique et républicain réside dans la recherche illusoire d’un Etat – nation, irréaliste à court et moyen terme. Pour sa communauté ethno régionale le congolais est prêt à s’investir à 200% parce qu’il s’agit d’une réalité palpable, proche, d’une affinité de liens réels, qui lui fait mettre du cœur à l’ouvrage. Tandis que pour la cause « nationale » sa tiédeur voir sa réticence, devient légendaire.

Le patriotisme régional est notre seule richesse spirituelle en tant que peuples. Pourtant, sans démonstration et d’ailleurs sans succès, les politiques nous invitent à l’abandonner au nom d’un Etat – nation chimérique qui n’a pour seule justification que le fait qu’il est le modèle de notre colon, en nous poussons à nous y accrocher désespérément même quand il s’avère chaotique voir criminel pour notre société.

Le bourbier unitaire étouffe inutilement les énergies qui auraient pu contribuer au développement. Toute cette volonté continue d’être sacrifiée au nom d’une nation fantôme dont le prix a macabrement flambé depuis les 10 dernières années. Le Congo aura finalement fait plus de mal que de bien à la majorité de ses ressortissants. Si bien qu’il n’est point besoin d’être un savant, pour constater que le pluralisme national et culturel est la spécificité des sociétés africaines en cause. Chemin faisant, force est de créer un authentique modèle de l’Etat de droit démocratique dont l’hétérogénéité des peuples et des cultures est le facteur structurant le champ politique et constitutionnel.

VI – L’IMPASSE

Un dialogue national sans exclusive est réclamé par la plupart de ceux qui ont été privés de l’exercice du pouvoir. Le bon sens semble s’être rangé dans ce camp là puisque après tout, le dialogue est préférable à la violence et à la fourberie se laissant croire que « tout va bien » après une victoire militaire et des perdants frustrés et aigris attendant le match retour. Toutefois, le rejet de cette proposition de dialogue par le pouvoir établi à Brazzaville ne relève pourtant pas d’un égoïsme irrationnel, mais résulte d’une analyse de probabilités qui ne donne que de mauvaises réponses. Projetons-nous donc dans l’avenir pour analyser les cas de figures les plus probables pour un dénouement de la crise politique congolaise.

A. Avec le dialogue national sans exclusives, dans une vision unitariste.

1. Tous les exilés sont amnistiés, ils rentrent libre au pays.

Ils reconnaissent Denis Sassou Nguesso et son régime. Ils attendent 7 ans pour repartir à la bataille dans tous les sens du terme. Comme l’enjeu est de changer la nomenclature de l’apartheid, la résistance de tous les groupes ethniques n’aura d’égal que l’acharnement de tous à occuper le trône du dominant. L’histoire ayant forgé la méfiance au sein du peuple et de la classe politique, aucun beau discours ne convaincra une ethnie d’objectivité. Le spectacle promet d’être sanglant. Un vainqueur s’en dégagera, les autres iront en exil appelant à un dialogue nouveau.

2. Ils ne reconnaissent pas Sassou Nguesso et ses institutions et exigent des élections immédiates.

Peu de chance car Sassou Nguesso, roi du moment, n’a rien à gagner dans une élection majoritaire puisque le tribalisme pervertit la démocratie. En plus, il a tout pour imposer son point de vue. Les opposants mobilisent la région : troubles, assassinats, guerres, exil… appel au dialogue.

3. Ils décident de partager le pouvoir tous ensemble.

Sassou est co-président avec Lissouba, Kolélas, Moungounga et Yhombi. Ajoutons-y Milongo, Ntumi, Thystère et Ganao. Combien de temps pariez-vous avant la guerre de leadership ? Le temps qu’il faudra à chacun pour se sentir suffisamment armé et prêt à défier les autres co-présidents. Aristote l’a démontré et l’histoire lui a donné raison : les oligarchies finissent toujours en tyrannie parce que la guerre des oligarques est inévitable, et la dureté du vainqueur sera le gage de sa survie. C’est la configuration actuelle de la RDC.

B. Sans le dialogue national sans exclusive

1. Sassou Nguesso garde la supériorité militaire et diplomatique.

Il maîtrise son camp et reste au pouvoir à souhait. Les opposants mourant un à un en exil. Mais comme nous l’avons vu avec l’exemple Ntumi, les opposants naîtrons toujours de quelque part. Si non, avec le départ naturel de Monsieur Sassou, les mêmes questions d’aujourd’hui n’auraient toujours pas trouvé de réponse et la situation sera identique. De la même manière que les 28 ans de monopartisme ont gelé l’ethnicité sans la dissoudre, en la renforçant même.

2. La supériorité militaire et/ou diplomatique passe dans le camp d’un opposant qui renverse le régime en place et devient khalife à la place du khalife. Le Prince sortant va en exil, avec toute son administration d’où ils en appellent à un dialogue sans exclusive et sans illusion. Nous revenons à la même situation d’aujourd’hui, en ayant changé juste les positions des acteurs, les bourreaux devenant victimes, mais en gardant la même insécurité dans un camp, la même instabilité nationale, et sûrement la même oppression.

3. Sassou Nguesso introduit un à un les opposants dans son équipe, les plus radicaux sont isolés et disparaissent. On rejoint le point B.1.
Dans tous les cas de figure, nous revenons au même puisque les mêmes causes produisent les mêmes effets. Nous sommes piégés par l’impératif évident de sécurité que revendique chaque groupe de peuple que compte notre pays ; un absolu qui autorise l’oppression de l’adversaire quand on tient les manettes. Ayant tellement opprimé, on ne se fait plus aucune illusion sur son propre sort le jour du renversement : alors on tyrannise encore, s’enfonçant toujours plus dans le point de non retour.

Le successeur des bourreaux d’aujourd’hui n’aura pas d’autres choix que d’être lui-même bourreau, sa survie en dépend. Nous ne pouvons nous échapper de ce cercle vicieux que si nous changions l’axe sur lequel s’articule la lutte [légitime] pour le pouvoir et la juste représentation de tous. Cette problématique ne peut se régler que par la construction d’un autre modèle de l’Etat et de démocratie adapté à l’histoire, à la culture et aux logiques sociales de nos sociétés plurielles, par opposition à la démocratie des sociétés homogénéisées et unifiées, incarnées par L’état – nation. Un état nation idéal peut-être, mais qui a mis mille ans à se bâtir dans les pays que nous envions. Un temps que nous pouvons gagner, riche de l’exemple des autres.

Au nom de l’obligation unitariste le Congo est une société qui ne vit plus que dans la terreur de l’attente de la prochaine guerre plus que probable. Le Congo unitaire dont le bénéfice et le caractère obligatoire à tout prix n’ont jamais été démontrés – contrairement à son préjudice largement subi – ne mérite pas d’être vécu. Pour quel profit doit-on encaisser les massacres passés, présents ou futurs de nos frères, les bombardements de nos quartiers et villages, le pillage de nos maigres richesses durement constituées, le viol de nos femmes, la ruine de notre mental et de nos valeurs sociales ? Si la paix n’était que le seul avantage du fédéralisme, et que les indépendances des entités fédérées étaient inéluctables selon une critique sans fondement souvent opposée à ce système, n’est-il pas préférable de vivre pauvre sous son cocotier indépendant mais en paix, que d’endurer un Congo devenu un enfer sans intérêt ? Nous n’en sommes pas là heureusement, et le fédéralisme offre plus encore que la paix qui lui est une évidence.

VII – LE FÉDÉRALISME POUR L’EQUILIBRE SOCIAL ET POLITIQUE.

Sous une réorganisation fédéraliste, le Congo incarnera pour la première fois en Afrique noire postcoloniale, un Etat compatible par sa nature démocratique, son droit, son histoire, sa culture, avec les logiques sociales des sociétés plurinationales qui lui donnent corps et signification.

1. La fin de la crise et le partage des pouvoirs.

Le fédéralisme est le meilleur dénouement de la crise congolaise. Si toute la classe politique qui n’a plus le choix, accepte le principe fédéral de l’Etat, et qu’il est entériné par le peuple majoritaire en référendum, tous les exilés politiques peuvent regagner le pays sans délais, se rendre directement dans leurs fiefs régionaux pour y participer à l’organisation du futur système local sans se nuire les uns aux autres. Il n’y a plus de terrain commun d’achoppement entre les grands groupes rivaux macro ethniques ou régionaux.

Le fauteuil de président de la fédération perdra son importance grâce à la réduction conséquente de ses pouvoirs en faveur des entités fédérées.

Il faut que le pouvoir régional arrête les excès du pouvoir central, et il faut que le pouvoir central (pouvoir de tous équitablement) contrôle la marche de chacun dans sa région.

Le conflit politique qui nous oppose, c’est qu’il n’y a qu’un fauteuil pour 11 régions (Brazzaville comprise), et la solution première du fédéralisme c’est d’offrir 11 fauteuils pour 11 régions, en éliminant les effets apartheid de dominants/dominés. Chacun ayant chez lui les mêmes compétences totales sans être subordonné à qui que ce soit. Pas même à l’occupant du 12ème fauteuil, le Président de la fédération. Celui-ci étant en charge de tâches régaliennes spécifiques telles que la défense, la sécurité nationale, les affaires étrangères, la promotion du pays… responsabilités dont il a seul la compétence. Il est le détenteur de la signature qui engage le Congo tout entier, mais sous contrôle étroit d’un parlement équitable, c’est-à-dire composé du même nombre de représentants par Région. Il n’a aucune influence exécutive directe sur le quotidien des citoyens à l’intérieur de leurs Régions, ni sur les Présidents des Régions fédérées.

En effet, ces derniers gèrent les dossiers concrets en matière d’éducation, de culture, de santé et sécurité sociale, de justice, de tourisme, de transports et travaux publics intérieurs, de télécommunication, d’aménagement, de police, de logement, d’exploitations de leur ressources propres. Ils administrent leurs territoires et gouvernent sur leurs économies, de la concertation à l’exécution.

Il n’y aucun conflit d’autorité possible entre l’Etat fédéral et les Régions fédérées, les tâches étant clairement séparées, et les aires de pouvoirs impénétrables entre Régions.

On est maître chez soi, comme les autres sont maîtres chez eux. Seul le collectif sera supérieur au particulier.

2. L’équilibre géopolitique et juridique.

Ce Sénat régionalement équitable, est impossible à déséquilibrer d’un point de vue ethnique. D’autre part, chaque Sénateur n’étant redevable que de sa Région, s’écarte alors tout risque de vote corrompu pour obtenir les faveurs de l’exécutif fédéral. D’où, les majorités qui s’en dégageront se feront au cas par cas et ne pourront avoir d’autres motivations que l’objectivité et la défense de ses administrés directs.

Les abus des gouvernements régionaux peuvent être sanctionnés par ce Sénat, qui ne peut souffrir de l’influence de la supériorité numérique d’une ethnie ou d’une alliance macro tribale (grand Nord uni ou grand Sud uni) en raison de l’équité du nombre de régions entre les deux zones, Brazzaville arbitrant.

La même configuration d’équilibre se retrouve dans les institutions juridiques fédérales, puisque chaque Région présente un nombre égal de juges à la cour suprême ou toute autre institution fédérale.

Fédéraliser le Congo est la chance de repartir à l’origine de notre société, afin d’établir un pacte juste et désiré de cohabitation pacifique et équilibré et d’établir les règles d’entraide entre toutes les entités congolaises.

Aucun contrôle ethnique n’est nécessaire pour s’affirmer membre – citoyen d’une Région, si au moment de la création du fédéralisme, il est admis qu’est membre d’une Région donnée, tout congolais faisant le libre choix de celle là. Qu’il y ait des attaches ou pas. Le droit de circulation et d’établissement des personnes physiques et morales comme des biens étant libre sur toute l’étendue du territoire congolais.

L’individu ou le groupe brimé dans une Région étrangère, peut compter sur sa Région pour le défendre officiellement en portant l’affaire au niveau fédérale, selon les procédures. L’individu ou le groupe voyant ses droits spoliés dans sa propre Région peut également saisir les instances fédérales et obtenir réparation. Sachant que sa seule Région ne peut influencer toutes les autres, il y’a plus de chance d’obtenir un arbitrage honnête et libre de toute influence. Le fédéralisme redonnera foi en la justice congolaise. Ceci constituant un réel progrès vers la confiance, de là vers la nation.

VIII – LE FEDERALISME POUR LA DÉMOCRATIE ET LA SÉCURITÉ

1. Pour la démocratie institutionnelle

La démocratie est garantie par le fédéralisme, si le détenteur de l’exécutif fédéral est réellement dépossédé des pouvoirs extraordinaires qu’accordent les régimes africains aux gouvernants et dont ils ont toujours abusé.

La configuration que nous connaissons aujourd’hui ne peut fonctionner et n’a tenu jusque là que parce que le régime se comporte en monarchie archaïque : un pouvoir personnel et personnifié en qui les alliés accordent une confiance aveugle, qui dispose de l’administration, des finances, de la justice et de l’armée par un rapport direct et personnel, prenant les fonctionnaires pour ses serviteurs, donc impliquant une confiance personnelle entre eux et le Prince.

Le fédéralisme donne à tous les groupes du pays une légitimité égale, ce qui rend les pouvoirs réellement indépendants les uns des autres, et non découlant hiérarchiquement. Chacun étant issu de souverainetés différentes et parallèles à la fois. Tocqueville affirmait – à raison – que le fédéralisme c’est apporter la démocratie devant la porte de chaque citoyen. En tant qu’électeur, le citoyen choisit le projet qui lui conviendra pour son environnement immédiat et agira à la fin du mandat directement sur la personne responsable de ses attentes sans que celui-ci ne se couvre derrière un lointain chef quelque part à la capitale qui jamais ne viendra sur les lieux. Le responsable sanctionné n’a pas à espérer une nomination de complaisance dans une autre Région pour continuer à toucher un salaire sans rien faire, parce qu’« ils sont au pouvoir ».

Le fédéralisme c’est donner plus de place de participation à plus de gens. Permettre plus d’efficacité dans la lutte contre les fléaux, ouvrir un large panel à la proposition de projets, l’exécution, le suivi et le contrôle direct au résultat par la multiplication des parlements des conseils économiques et autres antennes sociales.

L’ethnicité qui primait dans le régime unitaire pour cause d’adversité, perdra sa raison d’être, laissant place à la politique rationnelle et critique à l’intérieur des Régions.

2. Pour la sécurité et la paix.

Le fédéralisme est le meilleur rempart à l’insécurité qui est devenu le souci majeur de tous les groupes ethniques et régionaux. Aujourd’hui, les milices victorieuses au service d’un homme ou d’un clan, tiennent lieu d’« armée nationale » et paradent partout semant la mort et la désolation. En fédéralisme, les Régions assureront leurs propres forces de police. La présence militaire est soumise à des règles strictes et égales à toutes les Régions, sous le contrôle du Sénat. Aucun déplacement, aucune construction, aucune occupation ne pourra être opérée par les forces armées, sans le consentement de ce Sénat et des gouvernements régionaux concernés. La confusion habituelle des pouvoirs entre l’armée et la police, sera rendue impossibles parce que les Régions, nécessairement jalouses de leurs prérogatives, tiendront à ce que les institutions de l’État central ne puissent empiéter sur leur domaine. Celui qui dirige la police n’a pas l’armée, et celui qui gère l’armée n’a pas de police.

D’autre part, les conflits ethniques que nous avons connu s’apparentent d’un point de vue sentimental à des guerres entres peuples étrangers. Les imbrications claniques et lignagers au sein d’une même Région interdisent certains excès grâce à une médiation quasi familiale, supplantée en cas d’échec, par la médiation fédérale, qui se compose de tous les représentants du reste du pays. Toutes ces volontés sont contraintes d’objectivité car n’ayant aucune implication dans la marche de la Région en cause. Le fédéral possède en plus les moyens de coercition sans qu’on ne lui prête d’intentions hégémoniques.

IX – LE FÉDÉRALISME POUR LE DÉVELOPPEMENT

1. Patriotisme au travail

Nos sociétés ont une mémoire capitaliste qui ne demande que l’intelligence au pouvoir et le contrôle du risque pour être réveillée. Dans ce sens, la mutation de l’économie de subsistance à l’économie d’accumulation doit concilier l’efficacité économique et la cohésion sociale, la mobilité du capital et la mobilité du travail, la vertu de la régulation et la vertu de liberté d’initiative, afin que les nations, l’Etat et les citoyens redeviennent les acteurs de leur propre histoire.

Fédéraliser le Congo c’est confier le développement et la vie de tous les jours à ceux que cela concerne directement pour eux-mêmes et pour leur propre famille. C’est écarter les réticences actuelles de s’investir sur ordres flous de lointaines institutions caricaturales, imposées et sans âmes. Des institutions inacceptables souvent par simple orgueil identitaire. C’est réconcilier le citoyen avec sa patrie de cœur qui est la Région, une patrie pour laquelle on ne lui a jamais donné la chance de travailler. Chacun participant de son plein gré pour ce en quoi il croit, pour ce qu’il aime, sur ce qui l’attache sans se sentir dominé ou asservi par d’autres, sans craindre les intentions mesquines de quelques fonctionnaires envoyés de la capitale qui ne ressentent absolument rien pour sa localité à lui et qui sont juste bons à guetter la bonne occasion pour s’en mettre plein les poches.

Si face à l’adversité des autres Régions on s’interdit l’objectivité, le fédéralisme permettra de tourner la page de la période des rois fainéants et des complaisances infinies au nom de la défense inconditionnelle de la Région face aux autres. L’argument tribaliste perdra son sens. Il instaurera une culture du résultat, en redonnant au citoyen la liberté de juger rationnellement l’action politique et sociale de chaque acteur. Puisqu’au final, on remplacera toujours Oba par Oko ici, et Loemba par Tchibinda là bas, Mbemba par Missamou ailleurs, sans craindre que le trop plein de critiques ne laisse échapper le contrôle de la politique de chez soi à un autre groupe.

2. La rigueur et l’objectivité économique

Le fédéralisme c’est stimuler la concurrence à l’intérieur du pays. Permettre aux congolais de travailler et de s’installer dans la Région de leur choix avec le groupe qu’ils jugent le plus compétent et le plus rassurant à leurs yeux, sans craindre que ses efforts restent multipliés par zéro parce que le tyran qui tire toutes les ficelles est le même.

3. Le développement culturel

Fédéraliser le Congo c’est sortir la culture de sa clandestinité. Permettre à chaque groupe de promouvoir librement son être dans son espace selon sa conception et ses besoins. C’est libéraliser la pratique, l’enseignement, l’officialisation de nos langues locales et des mythes qui constituent nos histoires régionales propres, qui font nos identités.

X – FÉDÉRATION, RÉGIONALISATION, DECENTRALISATION.

1. Pourquoi ne pas se contenter d’une décentralisation ?

Si le colon le fait, c’est forcément le mieux à faire, entend-on trop souvent ! La décentralisation est le processus par lequel un centre abandonne une part de ses fonctions au profit d’une périphérie. Le mot a un sens concret quand il s’agit de décentraliser des activités et un sens abstrait quand il s’agit de décentraliser le pouvoir. Dans ce dernier cas, on crée simplement un subalterne de plus s’il est nommé, et un postiche sans pouvoir s’il est élu. Sur le plan de la décentralisation des activités, il faut bien qu’il y’en ait, pour les confier aux collectivités locales. Il se trouve qu’au Congo, il n’y a rien à décentraliser. On ne gère pas de constructions d’hôpitaux, d’entretiens routiers, de renouvellements de matériels, de modernisations d’écoles et de structures culturelles ou sportives chaque année dans toutes les régions. Le centre ne croule donc pas sous le travail faisant souffrir la périphérie par la lenteur ou l’inadéquation des solutions envoyées de trop loin.

On aurait pu appuyer une décentralisation industrielle ou du secteur tertiaire par des mélanges de mesures incitatives et limitatives dans un but de dispersion et d’équilibrage, mais il se trouve que là non plus il n’y ait rien à décentraliser. Qu’est ce qu’une banque ou une laiterie ira faire à Vinza ?

La décentralisation quand il y’a de quoi décentraliser, reste une administration dont les moyens et parfois les ordres viennent de loin, décidés par un groupe pour d’autres. Elle n’élimine pas le problème de la majorité ethnique au niveau nationale et de l’apartheid qui s’en suit, elle n’empêche pas la concentration de tout l’exécutif aux mains du même groupe ethnique, elle ne peut déjouer un favoritisme du centre dans sa répartition budgétaire, elle ne soulève aucun enthousiasme populaire particulier… Bref, elle ne remplit aucun critère pour palier aux maux spécifiques d’un pays comme le notre.

La régionalisation obéit à un processus de décentralisation avec des entités plus vastes. En leur donnant des pouvoirs concrets tout en allégeant ceux du centre, la régionalisation peut se rapprocher d’un fédéralisme qui en évite juste le mot. L’ennui c’est que l’irrespect des limites et le manque de tradition démocratique chez nous n’autorisent pas la mise en place de systèmes aux frontières floues, que des gymnastiques politiciennes pourraient vider de toute leur substance. Néanmoins, régionalistes, autonomistes, fédéralistes et confédéralistes sont sur la même longueur d’onde.

La grande distinction que nous faisons ici entre fédéralisme et décentralisation tient du fait que pour le fédéralisme, il ne s’agit pas de ramener quelque chose du centre, mais de le créer complètement avec le seul engagement des populations concernées. Le fédéralisme dans notre pays serait irréalisable sans le patriotisme régional dont témoignent les congolais de tout bord et le désir de responsabilisation complète des groupes régionaux. Il use de ce même repli ethno – régionaliste qui nous empêche aujourd’hui de vivre dans l’unitarisme, pour le retourner comme moteur dans le fédéralisme. Le venin devenant vaccin.

D’ailleurs, la plupart des projets politiques congolais dit de forte décentralisation ou de régionalisme sont en réalité fédéralistes. Hélas il se trouve que le mot et la notion de fédéralisme, mal connus de nos compatriotes, pousse à certaines méfiances.

2. L’aptitude de nos Régions à l’autonomie

Considérant que la plus grande richesse c’est l’homme, on peut affirmer qu’il n’y a pas dans notre pays de Régions trop pauvres pour s’auto administrer. Ce vieux prétexte d’absence de ressources naturelles était dans les années 50 l’argument phare des opposés à la décolonisation, à qui on doit la mise sous tutelle de la Namibie sous un régime effroyable. Dans notre système actuel, aucune Région ne reçoit de dotations conséquentes du budget national, Brazzaville et Pointe-Noire engloutissant la totalité, pour un résultat d’ailleurs fortement discutable.

Le fédéralisme permettra à chaque Région de percevoir annuellement des crédits fédéraux proportionnellement au nombre de leurs habitants, une fois que le centre aurait extrait un minimum pour ses missions régaliennes. Sachant que le centre, une fois amaigri de ses hordes de fonctionnaires – et d’institutions voraces qui ne servent plus qu’eux-mêmes – pour les rendre à leurs Régions respectives, il aura conséquemment réduit son train de vie. Certains analystes avancent le chiffre de 50 à 70% des recettes nettes affectables aux Régions.

Les sommes ainsi allouées représenteront une corbeille importante que des acteurs compétents et concernés sauront faire profiter à leurs localités, dans un climat de confiance, de participation collective, de démocratie et de contrôle assuré par un centre désintéressé et des citoyens régionaux vigilants.

Le fédéralisme implique également l’impératif de sortir d’une vision économique qui ne vole pas plus haut que la chasse, la pêche et la cueillette. En effet, le pétrole, le bois et les mines, nos principales sources économiques, ne sont que des formes modernes de ce ramassage des aubaines de la nature.

Une économie valable et moderne nécessite une créativité et une adaptation auxquelles nous ne pourront échapper.

XI – ADÉQUATION DU FÉDÉRALISME AVEC LES STRUCTURES GÉOGRAPIQUES ET HUMAINES

1. Adéquation

Lors du serment du Grütli donnant naissance à la confédération helvétique à la fin du XIIIè siècle, les suisses n’atteignaient pas un million d’âmes. Peut-être un demi million. Aujourd’hui encore huit siècles plus tard, ils ne sont que 7 millions. Jadis, certains prédisaient au fédéralisme américain de ne pas tenir à cause d’un trop grand territoire, prédisant que le jour où chacun se sentira assez fort pour faire cavalier seul, le pays s’effritera comme peau de chagrin. Le pouvoir fédéral si loin et peut-être plus pauvre que l’État sécessionniste, ne fera que constater.

Aujourd’hui, prise isolément, la Californie est le 5ème État le plus riche du monde. Mais ni elle, ni le Montana son petit frère pauvre d’à côté ne songent quitter les Etats-Unis d’Amérique.

La fédération est le résultat d’une disposition sociologique particulière qui requiert une organisation par groupes autonomes. Elle n’est pas subordonnée à des questions de superficie et de nombre d’habitants. Parmi les pays unitaires, on constate que la microscopique Guinée Équatoriale, la grande France et la surpeuplée Chine s’administrent sous la même forme unitariste, avec des résultats très différents. Autant dans le monde des fédérés on trouve également des petits pays (Emirats Arabes Unis 77 800 km2) comme des grands (Russie), des très peuplés (USA) comme des moindres (Suisse), des démocraties confirmées (RFA) comme des régimes instables (Nigeria), des fortes densités (Inde) comme des faibles densités (Canada, Australie), des pays enclavés à plus de 80% (Brésil) comme des plats pays facilement administrables (Belgique)…etc. Le fédéralisme yougoslave s’est terminé en sang, le divorce tchécoslovaque a été pacifique. D’autres unions fédérales ne souffrent d’aucune remise en cause, tandis que de vieux jacobins sont secoués par des velléités séparatistes. Même la guerre froide a transcendé ces systèmes d’administration de manière égale : il y’avait des pays fédéraux des deux côtés du rideau de fer.

La mise en place d’un fédéralisme n’est donc pas déterminée par des critères géographiques ou numériques mais socioculturels et historiques, dont le Congo présente un condensé plus qu’exhaustif.

Pour le cas nigérian souvent opposé à ce modèle en Afrique, on oublie souvent que ce pays n’existerait plus aujourd’hui sans le fédéralisme à qui il doit sa relève après la guerre du Biafra. Tous les autres pays d’Afrique où se succèdent les guerres toujours pour la même raison d’incompatibilité du système pour des sociétés plurielles, notamment le Tchad, la RDC, la RCA ou la Côte d’Ivoire ont tout à gagner en se réadaptant au risque de disparaître par génocides cumulés.

2. Géopolitique interne aux Régions fédérées.

La question de créer une fédération pour chaque ethnie ne se pose pas. Chaque Région fédérée fonctionnant elle-même comme une fédération pleine, les sous-groupes intérieurs sont représentés par des subdivisions administratives et politiques cohérentes, jouissant à leur tour d’une démocratie locale.

Chaque Région doit avoir la liberté de s’organiser pour donner un rôle aux élus départementaux, selon les spécificités locales et sous le contrôle neutre des autres Régions représentées au centre par le Sénat. La tradition américaine considère la fédération comme étant avant tout une alliance entre familles libres. Les familles se regroupant ensuite en districts, ceux-ci en comtés, ces derniers en Etats et l’ensemble forme les États-Unis d’Amérique. La Fédération Congolaise sera une fédération d’individus, réunis en fédérations familiales, elles-mêmes groupées en fédérations ethniques, pour donner la Région, puis l’ensemble des Régions faisant la grande Fédération. La réinvention de la démocratie de proximité ne remet en cause ni les frontières internes (la Région, demeurant le lieu de brassage des peuples), ni les frontières externes de l’Etat.

XII – MISE EN PLACE DU FÉDÉRALISME

1. Pour un mouvement fédéraliste unificateur à l’échelle national .

Le dialogue national sans exclusif ne peut être efficace que s’il propose une solution à long terme, socialement logique, satisfaisante pour tous et réalisable comme l’est le projet fédéral. _ Ce projet aura sa crédibilité et incarnera le renouveau dans la paix, si le groupe politique qui le défend est lui-même composé de fédéralistes convaincus ressortissants de toutes les Régions du pays, chacun représentant la fédération de sa Région dans cette union respectueuse et égalitaire. Une Convention Fédérale offre la chance pour la première fois dans l’histoire tumultueuse de notre pays, que n’importe qui peut adhérer à un mouvement, sans forcément avoir l’impression de ne pas être dans le parti de son clan naturel ou l’inverse ; chaque membre adhérant à la fédération de sa Région de choix au sein dans la Convention. C’est aussi l’occasion d’un renouvellement large et profond de la classe politique congolaise. Cette convention reste à être créer, par nous, fils de toutes les Régions du Congo uni. Car fédérer signifie unir.

Il est prévisible que les grands partis hypocritement régionaux déjà existants et que nous connaissons (MCDDI, MUR, PCT, RDD, RDPS, UDR, UPADS…) soient incapables de ratisser plus loin que leurs fiefs naturels dans l’idéal de créer une convention fédéraliste nationale. C’est peut être l’embarras de reconnaître enfin leur vrai nature après tant d’années de discours antithétiques qui va justifier leurs réticences. Toutefois, il est important, pour une réflexion avant, pendant et après la mise en place du fédéralisme que les relations entres les différentes Régions soient apaisées et cordiales. Rien ne pourra mieux assurer un tel rôle qu’un grand parti national, subdivisé en fédérations régionales réellement autonomes, engagés pour la mise en valeur des 4 coins du Congo.

2. Le choix de la raison

Le pouvoir politique actuellement en place à Brazzaville comme l’opposition locale et externe, sont face à un mur, et nul autre proposition que le fédéralisme ne pourra offrir la paix civile aux congolais, et la cohabitation aux politiques sans se marcher dessus. Chacun sera désormais libéré de la plus grande des craintes : tomber dans l’esclavage d’une autre Région. Une fois la forme de la constitution fédérale approuvée, ainsi que les constitutions régionales reconnues comme conformes à la constitution fédérale, plus rien ne s’opposera au retour des exilés afin qu’ils exercent librement des activités politiques, se présentent à des élections transparentes. Plus rien non plus ne fera peur au pouvoir pour organiser des élections dans l’immédiat, car il n’y a plus de chance de les perdre aux risques de se voir gouverner par ses ennemis. Il est vraisemblable que pour un premier temps, les milices régionales soient actives et se tiennent prêtes à une éventuelle tentative de violation de leurs droits d’autogestion. Mais leur intégration dans les polices régionales permettra de transformer ces armées secrètes aux buts inavouables, en force de l’ordre et de protection de l’intégrité régionale.

Le financement comme les moyens humains et matériels du fédéralisme à sa préparation comme dans ses premières années sera étroitement lié à la mobilisation engagée par chaque Région fédérée auprès de ses ressortissants afin que chacun apporte sa pierre à l’édifice. Les citoyens régionaux devront apporter la plus grande partie de leurs avoirs si non la totalité dans les banques régionales créées pour la circonstance. Pour les expatriés d’occident, rien n’interdit que l’engagement aille jusqu’à faire des prêts personnels auprès des banques de leurs pays d’accueil afin de donner un capital de lancement à leurs Régions, complété par l’engagement personnel et physique de toutes les compétences dans un esprit de solidarité et de sacrifice pour la terre de ses ancêtres que l’on compte léguer à sa descendance, améliorée et enrichie. Bâtir sa terre de sa sueur avec ses frères de lignage ou de clan, en partant de zéro, est la seule façon pour tous d’accorder une valeur intime au bien public, de le protéger même au péril de sa vie.

XIII – LE CAS PARTICULIER DE BRAZZAVILLE

Brazzaville ne peut être rattachée à la Région du Pool vu les différentes sensibilités qui la compose. En restant simple ville autonome et capitale de la fédération, sans structures régionales fédérées à l’image des autres Régions, ce serait priver une partie trop importante de la population de démocratie politique. On peut reconnaître une citoyenneté brazzavilloise, comme il y’a une citoyenneté lékoumoise, ou sanghienne.

Pourtant, une fois Brazzaville Région à par entière, municipalité et capitale fédérale, la frontière des compétences entre le gouvernement centrale qui doit exercer son autorité sur sa ville, la municipalité et le gouvernement régional risque de contrevenir au bon fonctionnement de toutes les institutions de cette ville. D’où la nécessité pour la capitale fédérale de se situer dans une autre bourgade, complètement consacrée à ses tâches administratives, juridiques et politiques fédérales, bien loin des tumultes d’une grande agglomération comme Brazzaville.

La région des Plateaux offre par sa position centrale, le meilleur site pour ériger la nouvelle capitale fédérale du Congo.

CONCLUSION

Ce projet de paix civile et de mise en place de meilleures conditions de travail pour tous est une révolution intellectuelle en rupture avec le culte opaque de l’Etat – nation, dont la crise et les mutations ont révélé l’incompatibilité avec les logiques de nos sociétés plurielles. En outre, la formalisation juridique de ce nouvel ordre politique, fera des constitutions démotiques, l’oeuvre des populations elles-mêmes, mise au service de la liberté et de la productivité, et non à celui d’un homme ou d’un groupe, comme moyen de domination politique. Les congolais ont tout intérêt à soutenir ce projet, qui fait du relativisme historique et social, une contribution à la civilisation de l’universel.

Source: www.congopage.com