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Afrology a lancé en 2020 un projet de création d’une banque d’épargne et d’investissement. La Banque de demain regroupe des africains de la diaspora répartis...

Démocraties africaines…

La prévalence de la logique d’un service réduit…

L’année 2005 a pris fin, avec elle, les mouvements sociaux pour l’émergence d’une Afrique démocratique compteront quinze ans d’âge. Eu égard à l’inscription de l’Afrique dans la modernité politique depuis les années soixante, la pratique d’une politique stérile pendant trente années durant lesquelles le continent est resté dans la pure immanence existentielle et l’aspiration des peuples au changement et à une qualité de vie meilleure, il est temps pour un changement. Il devient urgent que dans les choix politiques qui sont au cœur du discours des dirigeants africains qui se réclament tous de la nouvelle donne, on remarque des signes ou des actes fossiles, vecteurs d’une lisibilité de l’ère post 1990 comme le lieu d’une avancée politique réelle.

L’Afrique politique, à chaque fois que se joue une tentative de percée devant consolider l’assise de la Démocratie, tend à conforter les afrosceptiques qui regardent de loin avec un sourire moqueur, le folklore de nos dirigeants, psalmodiant la pensée d’un écrivain africain qui disait qu’ “un séjour prolongé dans un cours d’eau ne transformerait jamais un tronc d’arbre en crocodile”. Certes, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions, et la dynamique sociale est loin d’être le lieu d’un immobilisme où l’équilibre primale à l’origine des êtres ne se modifie pas. Le peuple est une donnée sociologique dont la qualité est la possibilité même d’imprimer et influencer une trajectoire décisive dans l’histoire afin de la transformer. Pour preuve, l’adhésion unanime du continent à l’exercice démocratique est une sommation du peuple à l’endroit des dirigeants et non l’intuition prophétique de nos guides dits éclairés.

Alors s’il en est ainsi, l’esquisse d’un bilan est légitime et, mieux encore, il permet d’ajuster les manœuvres, ou dans un langage informatique, effectuer une “mise à jour des programmes”.

Des événements dans l’arène politique africaine cette année

Des plus décisifs nous pouvons retenir la parenthèse dans laquelle se retrouve la création d’une Union africaine politique, une parenthèse qui clôture la croyance en la possibilité des dirigeants Africains de se mettre d’accord sur ce qui peut les mettre ensemble. Cette parenthèse s’ouvre sur l’échec du Sommet de Syrte et se prolonge avec l’appel stérile à la fois de Kadhafi et de Obasandjo en cette fin d’année pour mettre sur pieds un gouvernement africain ; elle se clôture avec la nomination de Denis Sassou Nguesso. Les deux bornes ayant comme terrain de coïncidence, l’homogénéité d’une situation qui fait de la stérilité son nid, et du désaccord son horizon.

 L’Afrique aura démontré l’existence d’une société à deux vitesses : une Afrique des peuples épris de libertés ayant soif d’un lendemain meilleur, se battant à mains nues contre les criquets, les tanks et les kalachnikovs, et une Afrique politique coupée du peuple dont la seule préoccupation est la capacité sans cesse renouvelée à exercer le pouvoir envers et contre tous, en s’assurant une légitimité de façade. Un certain éveil politique est repérable certes, au niveau des politiques africains, mais elle est encore entachée des habitudes infécondes et totalitaires des dirigeants, non habitués à laisser à l’espace public, le droit et le devoir de la construction du vivre-ensemble. La fédération des États africains n’a jamais dépassé le cadre et le lieu du club très fermé des présidents africains. Il n’est pas dans les prérogatives du peuple de s’immiscer dans les domaines de ce qui est de l’exercice du pouvoir, cette compétence est dévolue aux Présidents et à l’armée.

Au cœur de la crise de la succession au trône dans la principauté Togolaise, auprès de ce qui est censé représenter la fine fleur de la politique africaine on a senti comme un début de fracture. Les nouveaux présidents de la trempe d’Alpha Omar Konaré, incarnant sans économie les valeurs de la modernité politique, et les anciens, les dinosaures comme Omar Bongo, Obasandjo, Kadhafi, etc. Bongo, en désaccord avec le trop de verves du Commissaire africain en la personne d’Omar Konaré, sur son appréciation du pouvoir togolais dont ce dernier interrogeait la légitimité, avait lâché tout cru que Konaré agissait comme s’il était encore président. Bien avant, le président Nigérian avait porté au grand jour cette fracture en désavouant publiquement les initiatives de Konaré dont le seul défaut était l’absence d’exercice d’un mandat à la tête du Mali. Il faut quand même avouer que jusque-là peu de personnes en Afrique savait que seuls les présidents ou chefs d’état en exercice, étaient les seuls à posséder une tête bien faite capable de juger et de décider de ce qui est légitime, de ce qui est bon ou mauvais. Quand des discours de cette nature sont du fait de nos guides éclairés, il ne faut pas se tromper sur la valence de ce qu’ils traduisent : après plus de quarante années d’exercice du pouvoir, il y encore des gens qui pensent qu’il échoit en Afrique, à une catégorie de personnes bien précise, la capacité d’exprimer clairement le fond de sa pensée, et de décider de ce qu’il faut faire pour le destin historique des peuples.

 Si les autres peuples nous considèrent comme des avortons et des minus, des singes qui seraient encore dans les arbres à voltiger de branches à branches sans le heurt de la colonisation, c’est juste parce que pour la plupart, ces gens qui sont les premiers magistrats de nos pays, des gens qui sont censés être les élus du peuple, sont le sanctuaire de l’incurie politique. Leur mépris pour les intellectuels du continent rend impossible toute forme de construction nouvelle et originale. Les nouvelles dynamiques qu’ils tentent d’insuffler au continent sont toutes de pales copies de projets inachevés et à peine correctement mûris dans les laboratoires occidentaux, les conseillers étrangers défendant le plus souvent les intérêts de leur patrie d’origine.

 D’autres événements, pas de second ordre ou de moindre importance, mais des événements majeurs à l’échelle locale ont fait l’actualité politique en Afrique. Des plus marquants, et en dehors de la succession de Faure au trône de la principauté Togolaise, on peut citer la guerre civile en Côte d’Ivoire, le coup d’état en Guinée Bissau, la famine au Niger, la guerre oubliée au Soudan, la réélection spectaculaire de Blaise Compaoré au Burkina Faso et de Omar Bongo au Gabon. A ces événements s’ajoutent bien entendu l’attitude timorée ou la réaction décalée des chefs d’états et des institutions africaines face aux problèmes de l’immigration clandestine en Europe, le silence coupable envers la violente répression par des policiers marocains, le peu de cas que font nos chefs d’états des traitements dont sont victimes les membres de la diaspora noire, les élections pluralistes en Égypte, le Congo Démocratique, etc. Le tableau est assez sombre, mais cette fois ci, il est loin d’incarner le cycle de l’éternel retour du même. Non contente de reconduire les mêmes parodies et de se satisfaire des pantomimes dont nos démocraties sont coutumières, l’Afrique innove en bassesse politique et cloue au pilori le Prince de Machiavel qui détenait jadis le record de l’absolutisme politique.

La falsification de l’idéal démocratique

La seule évolution dont est justiciable l’Afrique en matière politique est d’avoir compris la nécessité de s’inscrire dans la mouvance démocratique. Mais la prise en compte de cette réalité n’a pas servi à améliorer la politique d’ensemble du continent, ni à dégager une ligne de conduite pouvant influencer tout ce qui relève de la dimension praxéologique de la culture démocratique ; ce qui pose la question d’une involution plutôt que du contraire. La révulsion des dictatures contre la Démocratie au début des années ‘90 s’est manifestée par la violence et les coups de forces. Au Togo notamment, le pouvoir n’a pas hésité à sortir l’armée pour tenter de récupérer ce que les nouvelles institutions de la transition avaient dissocié des rôles du chef d’état et restaurer l’ordre ancien. La nécessité de partager le pouvoir avec un premier ministre et son gouvernement, ainsi que la limitation des mandats étaient perçues par les dirigeants d’alors comme une fronde à leur endroit. C’était comme un crime de lèse-majesté que de leur demander d’envisager une fin de leur règne sous prétexte de la volonté générale. Mais le fiel a fini par s’amenuiser pour laisser place aux noces avec la belle dame. Avaient-ils compris que c’était inéluctable et que l’air du temps était favorable à cette évolution historique des peuples outre atlantique, ou bien l’obtempération tardive était-elle du seul fait de la sommation du peuple ? La question reste posée. Mais progressivement on est passé dans une logique de récupération, où les dirigeants africains ont commencé à jouer au jeu de la Démocratie, acceptant la nouvelle donne mais dans le seul but de la falsification. Les premières manœuvres se limitaient à détourner l’expression du suffrage universel au profit des anciens dirigeants. Elles ont porté leur fruit, le fruit du mal qui gangrène l’Afrique politique post 1990. Devant le silence de la communauté internationale et l’impuissance des parties d’opposition incapables d’influencer l’armée et les lobbys, on est arrivé à l’achèvement de la falsification : le tripatouillage de la loi fondamentale.

C’est une mode dont l’Afrique est le créateur et qui s’étend comme un virus dans les États à la démocratie hésitante. Même un pays comme le Bénin, dont on salue l’ouverture démocratique et la disposition à s’inscrire pleinement dans le jeu démocratique, hésite encore à verser dans cette bassesse politique. Le succès du pouvoir et l’impuissance de l’opposition togolaise en face de ce mal vicieux ont inspiré des acteurs politiques enclin à la fourberie à pousser Kerekou dans cette danse macabre. La présence au pouvoir des têtes comme Compaoré qui vient de s’octroyer un nouveau mandat n’augure rien de bon pour le continent noir, c’est le signe des résultats d’une révolution des consciences qui n’est pas arrivé à terme parce qu’elle à été récupérée, dévoyée. Il y a de ces visages qui incarnent le fourvoiement et le sacrifice de plusieurs millions d’africains et le sceau d’un espoir avorté. Plus de 80 % des suffrages exprimés pour Blaise Compaoré. On n’est pas sorti de l’auberge. A défaut de contrôler la soif de la permanence au pouvoir en dépit des limitations de mandat, volons au moins avec modestie !

 Cette prouesse électorale reste tout de même insignifiante devant la consécration la plus abjecte des formes de perversité politique des temps modernes : la dictature héréditaire. La communauté internationale devrait avoir honte de la légitimité de fait accordée au président togolais dans un contexte électoral avéré frauduleux, preuves et images à l’appui, en déclarant les élections « globalement » satisfaisantes. C’est la preuve d’une désaffection pour le monde noir, la dissolution de la pensée humaniste présente dans les Lumières qui s’incline devant l’économisme et le marché. Ce qui s’est passé au Togo est non seulement inique, mais surtout unique. Quand le fils succède au père au Maroc, c’est bien parce que cet État est un royaume, et que l’esprit des lois dans un contexte pareil l’autorise. Le cas du Congo quand bien même il s’apparente à celui du Togo, pour ce qui est de la nature des personnes au pouvoir, ne lui est pas tout à fait symétrique. Le Congo était en guerre, le Togo ne l’était pas, et qui plus est, il y a des institutions sur lesquelles repose l’État togolais. Si, malgré cette souffrance et toute absence d’horizon, un peuple se résigne à l’ultime possibilité de libération qui est la mort du tyran pour effacer son passé et s’engager sur une nouvelle voie, on lui vole son espoir, et que l’autre qui est censé par son arbitrage lui garantir une transition pacifique, en vient aussi à le noyer, et se désolidariser de lui, il y a des questions qui interpellent et met la bonne foi des donneurs de leçons en jeu !

La logique du service réduit (une démocratie soldée)

Les excès politiques des régimes africains ont déjà fait couler encre et salive, et même renvoyer des personnes et des citoyens ad patre. Le fait de les ressasser chaque fois ne constitue en aucune façon la possibilité d’une sortie de crise. Il faut regarder au-delà de ces pratiques et décrypter quelle logique les sous-tend. C’est à ce titre que le combat contre leur prégnance peut trouver un terrain d’ancrage et mobiliser les énergies contraires pour leur faire barrage. Il faut comprendre que ce qui se trame sur l’ensemble du continent africain, du Togo au Congo, en Côte d’ivoire ou au Niger, et ailleurs sur notre continent répond à la velléité d’une pratique démocratique efficiente. De la part de nos dirigeants africains comme de la part des métropoles, on a compris qu’il n’est pas dans l’intérêt de l’Ordre du monde, de nos maîtres touts puissants, de laisser l’Afrique parvenir à sa propre assomption. La gestion politique opaque qui caractérise les États africains est le fruit d’une planification voulue dont le principe en matière démocratique est le service du minimum. La preuve la plus flagrante est la consécration du pouvoir togolais par la Commission européenne, prenant pour mesure démocratique pour l’Afrique, non pas la mesure étalon qui est le juste, mais plutôt l’approximation, le minimum. C’est volontairement que les choses sont ce qu’elles sont. Ils ont décidé de retarder l’éveil et l’assomption politique de l’Afrique pour assouvir leurs intérêts bien compris.

Quand Chirac, au début des années 90 disait que “la démocratie est un luxe pour l’Afrique”, il y avait un non-dit qui cachait l’intention selon laquelle “puisque l’air du temps est en votre faveur et que nous ne saurons vous la refuser, nous allons vous offrir l’apparence et non l’être, et qu’un maquillage de vos institutions devrait suffire”. L’Afrique francophone est l’une des zones les plus souffrantes du déficit démocratique et où le paternalisme politique est encore de rigueur. L’aptitude à la pratique démocratique requiert la disponibilité à coopérer avec autrui dans le but de la construction d’un vivre-ensemble équitable qui prend corps dans un espace public où pouvoir et société civile ainsi que les citoyens discutent et se mettent ensemble d’accord sur les contenus. Elle requiert aussi de manière fondamentale, une disponibilité à s’organiser au cœur de l’espace délimité qui n’est autre que le territoire ou l’espace géographique qui fait un Etat. Les deux aptitudes mobilisent donc, in fine les structures mentales, nos neurones que ce soit le domaine de la praxis, ou de la théorie. Il faut dépasser le cadre de l’autocensure et de la détermination de soi-même au travers des invectives des autres. Les tares de l’Afrique ne sont pas génétiques, elles sont conjoncturelles. L’Afrique n’est pas prête pour la Démocratie parce qu’on entretien et on planifie cette inaptitude.

 La politique des réseaux a un passé profond empreint de dérapages de toutes sortes. L’absence de transparence dans les affaires d’États et le gangstérisme politique profitent énormément à ceux dont l’ultime horizon dans l’existence est le profit. La logique de service réduit préserve encore les intérêts des chefs d’états africains, mais beaucoup plus, l’intérêt des métropoles. Un éveil du tiers-monde est synonyme d’un déficit du taux de croissance déjà absent de l’économie des métropoles. Devant la concurrence acharnée des pays asiatiques, où des pays comme le Japon ou la Chine qui à eux seuls font trembler l’Occident, une main mise sur l’Afrique participe à l’assurance d’un équilibre dans les échanges mondiaux. Et qui plus est, la disposition de nos ressources et leurs contrôles participent au maintient d’un bon niveau de vie des métropoles. Il y a encore de ces métropoles comme la France, qui, pour assurer leur place dans le concert des nations ont du mal à se soustraire de la vie politique des anciennes colonies pour établir un partenariat basé sur l’interdépendance. Alors elle offre à ses anciennes colonies une démocratie au rabais, comme en pleine période des soldes.

Mais l’équilibre cosmique est consubstantiel à la présence de l’univers et de la vie sous toutes les formes incarnées. Tant que le service réduit sera instauré en Afrique, ses peuples seront enclins à rechercher une forme de compensation. L’Occident ne respecte rien, sauf le pouvoir ; la force ou la capacité de nuisance et l’argent. L’Afrique ne possède aucun de ces pouvoirs de façon concrète. L’argent peut-être, mais sous forme de richesses naturelles et de comptes numérotés en Suisse.

Conclusion : une violence latente

L’histoire est en marche et le monde noir évolue dans le sens de l’appropriation d’une capacité à nuire. Elle prend une forme douce au travers de l’immigration clandestine, et de quelques rebellions vraies çà et là sur le sol africain. Si le silence et la surdité sont les éternelles réponses à l’appel des peuples opprimés dans leur soif de libertés et d’assomption, très vite la violence risque de remplacer la douceur. C’est dans le naturel des choses, une lutte répondant aux besoins liés à la pure immanence existentielle comme le besoin de vivre et d’exister, de s’assurer un horizon peut se pourvoir d’une idéologie meurtrière. La Cosa Nostra a émergé à la suite des incessantes occupations de la Sicile, Al Qaida s’invite partout où les peuples d’Allah se sentent opprimés et luttent pour leur liberté. Il ne faut pas perdre de vue que la soif de domination des métropoles met à mal tout l’Occident. L’Espagne et l’Italie payent aujourd’hui les dettes coloniales de la France et son implication dans le maintien d’un service réduit. L’invasion continuera de plus belle et rien ne pourrait l’arrêter. Au pire elle prendra une forme violente si les handicaps commencent à voir le jour.

Le plein exercice de la démocratie en Afrique et la liberté des peuples interpellent l’Occident tout entier. Il faut éviter que l’Afrique ne fasse de la recherche d’une capacité de nuisance pour se faire entendre, un passage obligé. Les enfants du Niger ont faim ; leurs parents sont prêts à tuer pour nourrir ces victimes innocentes. Et une fois encore, on oubliera les causes ; on trafiquera rapidement les images télé, et certains politiques occidentaux seront fiers de démontrer ainsi à un peuple hébété, la sauvagerie innée chez le Noir… pour quelques voix supplémentaires lors des prochaines élections, démocratiques.

Bruxelles, le 04 février 2006
Korh avec Gustav Ahadji