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Le franc CFA en question

En avril dernier, le Ministre français des Finances Michel Sapin a signalé que la France était ouverte au débat quant à l’évolution du franc CFA. Il a notamment déclaré: «le franc CFA appartient aux africains ». Plus récemment, l’enquête publiée par Mediapart, pour laquelle vous avez été consulté, décrit plutôt le contraire : la protection du statu quo par le Trésor Français et une minorité africaine, qui en tirent avantage. Où vous situez-vous dans ce débat ?

Il y a une coalition objective entre les responsables africains et les gouverneurs des banques centrales. Les tenants du système, qu’ils soient en Afrique ou en France, n’ont pas intérêt à ce que le Franc CFA évolue. Ceux-ci profitent de la parité fixe entre le franc CFA et l’euro, de la garantie de convertibilité, de la centralisation des réserves de change, et surtout de la liberté de circulation des capitaux. En effet, pour les grands groupes français, il n’y a pas de risque de change, et ils peuvent rapatrier leurs bénéfices sans coûts : c’est une aubaine. Côté africain, on peut transférer des francs CFA quasiment sans coût vers la zone euro, et cela est très pratique pour les nantis qui veulent s’acheter des biens immobiliers en France, dans la zone euro, et même au-delà, car ils accèdent à tout le système international via la détention d’euro. L’économie africaine est une économie de rente: ceux qui sont assis sur la rente, c’est ceux qui sont autour du pouvoir. C’est ce que j’appelle la servitude volontaire : les africains qui dirigent n’ont pas intérêt à faire bouger la monnaie. (Lire l’enquête de Fanny Pigeaud sur Mediapart )

Quelles sont les difficultés posées par le franc CFA, dans le contexte de la chute des matières premières ?

Le franc CFA tel qu’il existe ne participe pas du tout à la transformation des économies. Celles-ci reposent toujours sur la rente des matières premières, car la vigueur du franc CFA rend l’importation plus attractive que la production locale. Cela rend donc nos pays encore plus sensibles aux cours des matières premières. En effet, soixante-dix ans après la création du CFA, les échanges intracommunautaires sont toujours très faibles. A l’origine, le franc CFA a été créé pour convaincre la métropole française d’investir dans les colonies : un système qui n’a jamais été réformé depuis. Pourtant, la France aurait pu être réceptive à un débat. De plus, l’arrimage du franc CFA à l’euro pose un problème de compétitivité : à chaque fois que l’euro s’apprécie, le franc CFA aussi. Sur les cinq dernières années, le coton a perdu 40 % de sa compétitivité dans la zone CFA. On est restés dans l’idée que la diversification de l’économie n’était pas nécessaire. Avec la chute des matières premières, les dépôts à la Banque de France via le Trésor français ont baissé. Certains me disent qu’on fait bien d’être « protégés » par le Trésor français : au contraire, c’est la logique même de ce système qui nous rend sensibles à ces chocs.

Pourquoi la parité fixe et l’objectif d’inflation à 2 % empêchent-ils d’atteindre les objectifs de croissance ?

La défense de la parité empêche d’ouvrir les vannes du crédit. Les banques ne prêtent pas suffisamment : elles préfèrent se concentrer sur les entreprises de négoce. En ce qui concerne les prêts accordés aux particuliers, les taux sont trop élevés. Ce n’est pas surprenant : c’est la parité fixe qui en est responsable. On ne produit pas suffisamment, donc, si des crédits sont accordés, ils vont alimenter les importations. Et si les devises sortent trop, on ne peut plus suffisamment soutenir le taux de change avec l’euro. Il faudrait que le crédit soit sectorialisé pour alimenter la production et, de ce fait, avoir une monnaie suffisamment faible pour pouvoir exporter cette production, en partie transformée sur place, et gagner des parts de marché à l’export. C’est le principe du dumping monétaire des Chinois. Il n’y a qu’en Afrique qu’il y a un tel paradoxe : une monnaie forte alors que le secteur réel des économies est faible. En ce qui concerne l’objectif d’inflation fixé inférieur ou égal à 2 %, il montre bien que, dans notre système, il n’y a aucune préoccupation pour la croissance économique. Selon mes calculs, il faudrait un taux de 8 % pour soutenir une croissance élevée pour atteindre les objectifs de développement durable. L’inflation doit augmenter, c’est mécaniquement lié à la hausse de la demande, qui est le propre de toute économie en croissance.

Quels changements préconisez-vous ?

Le développement passe par la pratique, or c’est une notion occultée dans les débats. Dans la zone CFA, nous ne sommes pas aux manettes, donc nous n’apprenons pas. Je suis pour une approche gradualiste : si on passe dans un premier temps à une monnaie un peu plus flexible, cela permettrait aux banques centrales d’avoir un peu de marge de manoeuvre pour financer les économies locales. Les échanges intracommunautaires pourront se développer. Aussi, on peut adosser le franc CFA à un panier de devises qui tient compte de l’orientation du commerce international : le yuan (la Chine est le premier partenaire commercial de la zone), le dollar, l’euro et la livre sterling (pour tenir compte du Nigeria, qui détient l’essentiel de ses réserves dans cette devise). Enfin, nous disposons actuellement de plus de 80 % de taux de couverture de l’émission monétaire auprès du Trésor français, alors que nous ne sommes tenus qu’à 20 %. On pourrait utiliser le différentiel pour financer des programmes d’infrastructures, dans l’éducation, la santé… On ne peut pas continuer à s’interdire l’utilisation des instruments monétaires, qui ont permis le développement du monde occidental.

Kako Nubukpo, Bruno Tinel, Demba Moussa Dembelé et Martial Ze Belinga ont coécrit « Sortir de l’Afrique de la servitude monétaire », un ouvrage qui sera publié aux éditions La Dispute à la fin du mois de septembre.

Source: Les Echos
Camélia Echchihab,
Les Echos

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