LES DOSSIERS

Le roman congolais au XXè siècle

par Noël Kodia

Note: L’article aurait été copié pour un mémoire à l’université Omar Bongo du Gabon. Des recherches sont en cours…


Le roman congolais au XXè siècle:

Évolution ou révolution?

Le développement d’un pays se manifeste dans plusieurs domaines ; parmi ceux-ci, il y a la culture. Beaucoup de pays ont connu la gloire à travers le développement de leur littérature : l’Allemagne, la France et la Grande Bretagne pour ne citer que ces trois grandes puissances, se sont fait connaître dans le monde des nations par certains de leurs hommes de lettres tels Goethe, Voltaire et Golding. De son côté l’Afrique, au contact avec la civilisation européenne, passe de l’oralité à la « littérature sur papier ». Et parmi les pays africains qui se font remarquer dans l’écriture littéraire, il faut citer le Congo. De tous les genres littéraires que pratiquent les Congolais, le roman semble être le plus prisé. Évolution ou révolution du roman congolais au XXè siècle ? Telle est la question sur laquelle va se fonder notre réflexion. Car de 1953 à 2000 le roman congolais a été florissant.

Pendant plusieurs décennies, la littérature congolaise s’est fait remarquer au niveau continental. Beaucoup d’auteurs et particulièrement les romanciers ont intéressé la critique littéraire tant qu’ils se sont distingués des autres écrivains africains par leur « façon d’écrire ». Par sa taille et le nombre de ses habitants, le Congo au XXè siècle peut être considéré comme le pays qui a le plus d’écrivains, en particulier les romanciers dont la qualité des œuvres est manifeste. Et comme l’affirment Alain Rouch et Gérard Clavreuil, “la littérature congolaise compte actuellement parmi les meilleures, les plus prolifiques et les plus homogènes d’Afrique noire”[1]

De son côté, Roger Chemain renchérit dans la préface à Tarentelle noire et diable blanc de Sylvain Bemba. Pour lui , le Congo en Afrique francophone

« compte le plus fort pourcentage d’écrivains par rapport à l’ensemble de la population »[2].

Parmi les écrivains qui ont marqué l’histoire du roman congolais, on peut citer des noms célèbres tels Jean Malonga, Guy Menga, Sylvain Bemba, Jean Pierre Makouta MBoukou, Henri Lopes, Sony Labou Tansi, Emmanuel Dongala, Tchichélé Tchivéla, Tchicaya U Tam’Si… qui sont devenus aujourd’hui des classiques de la littérature (négro) africaine d’expression française. D’une façon générale, l’histoire du roman congolais se fonde sur un itinéraire marqué par deux « mouvements », deux façons d’écrire.

De 1953 à la fin des années 70 : Evolution du roman du roman congolais

Dans les années 50, il Jean Malonga publie deux romans : Cœur d’Aryenne et La légende de M’Pfoumou ma Mazono. Du point de vue de la thématique, ces deux textes narratifs ne traitent que de la réalité sociale de l’époque. Il faut attendre les indépendances et surtout la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 pour lire de nouveau le roman avec la publication en 1968 du Tipoye doré de Placide Nzala-Backa et La palabre stérile de Guy Menga. Pendant une décennie (de 1969 à 1979) moult publications voient le jour dans le domaine romanesque. Guy Menga confirme ses talents de prosateur avec Kotawali et Case de Gaulle après la série des Aventures de Moni Mambou. Henri Lopes publie coup sur coup La nouvelle romance et Sans tam-tam. Au cours de la même période, d’autres romanciers se découvrent. Jean Pierre Makouta MBoukou écrit de 1970 à 1974 Les initiés, En quête de la liberté et Les exilés de la forêt vierge. Emmanuel Dongala se proclame romancier en 1973 avec Un fusil dans la main, un poème dans la poche. En 1977, Dominique MFouilou se fait connaître avec La soumission qui sera suivi trois ans plus tard par Les corbeaux. En 1979, Sylvain Bemba embrasse le roman avec Rêves portatifs.

La majorité des fictions écrites à cette époque épouse l’histoire du peuple congolais d’avant et d’après les indépendances et les événements rapportés dans ces œuvres se déroulent souvent au Congo en dehors de l’histoire de Ratimanari des Initiés (une longue nouvelle de Makouta MBoukou) qui se passe en France et celle de Un fusil dans la main, un poème dans la poche qui se situe principalement en Afrique australe. Dans l’ensemble les écrivains de cette époque sont marqués par la souffrance des Congolais pendant la colonisation. Un mouvement politico-messianique comme le Matswanisme sera le thème principal de plusieurs récits ; on peut citer comme exemples Le tipoye doré, La palabre stérile, En quête de la liberté, La soumission, Les corbeaux et Case de Gaulle. A ce sujet, Arlette et Roger Chemain, deux spécialistes de la littérature congolaise notent que

« La palabre stérile » et « Le tipoye doré » évoquent le passé d’ailleurs récent puisqu’il s’agit des persécutions encourues par le Matswanisme dans sa confrontation avec les autorités coloniales »[3]

De son côté, Claude Wauthier qui a fait une étude sur le matsouanisme dans la littérature congolaise tire une conclusion pertinente en annonçant :

« Ainsi [plusieurs] ouvrages ont-ils été consacrés entièrement ou partiellement à André Matsoua par des intellectuels congolais ».[4]

Evoluant dans l’espace et dans le temps, des romans comme La nouvelle romance et Sans tam-tam décrivent les réalités de la société congolaise marquée par la Révolution des 13, 14 et 15 août 1963 ; une partie de Case de Gaulle met en relief Brazzaville des années 60 où sévissent les dérives révolutionnaires avec les atrocités commises par les milices. Du point de vue de la forme, les romanciers congolais continuent à écrire comme les classiques occidentaux qu’ils ont découvert à travers les écoles coloniale et néo-coloniale ; celles-ci définissent le roman comme

« une suite d’événements enchaînés dans le temps depuis le début jusqu’à la fin. Sans perdre de vue la vraisemblance, le romancier doit songer à l’unité du tout, aux causes et aux effets, au choix des périodes importants, à la corrélation des divers fils de l’intrigue, au mouvement qui aboutit à une conclusion »[5]

Jusqu’à la fin des années 70, le roman congolais reste encore prisonnier de l’idéologie de la référentialité qui domine au niveau de la création littéraire et artistique.

De 1979 à 2000 : Révolution du roman au Congo

Jusqu’aujourd’hui, la majorité des romanciers congolais s’adonnent encore au récit dit traditionnel. Quand en 1979 Sony Labou Tansi publie son premier roman La vie et demie, se crée chez les amateurs des romans une frustration dans l’acceptabilité de l’histoire rapportée. Avec La vie et demie, Sony Labou Tansi fait table rase de la formule traditionnelle du roman jusque-là soutenue par ses aînés comme Jean Malonga, Placide Nzala-Backa, Makouta MBoukou, Guy Menga, Henri Lopes… Habitué à lire des récits linéaires et logiques, le lecteur se trouve déconcerté et désemparé par la multiplication des personnages, le fantastique et l’irréel dans lesquels évoluent ces derniers. Dans ce roman, le lecteur découvre un personnage burlesque qui refuse de mourir malgré le ventre que lui a ouvert le Guide Providentiel. Emboîtant le pas à Sony Labou Tansi, Henri Lopes sort des sentiers battus au début des années 80 en publiant Le Pleurer-Rire, espèce de roman-fleuve qui se remarque par un travail de recherche soutenu au niveau de la forme. Avec une technique d’organisation scripturale qui donne la possibilité au lecteur de lire son récit tantôt comme un roman épistolaire, tantôt comme une pièce de théâtre romancée, Henri Lopes se démarque des règles « conventionnelles » du roman. Il adopte à certains moments un langage dérisoire issu du populaire congolais. « Le Pleurer-Rire » produit un langage embarrassant qui met en relief le français africanisé qui caractérise le burlesque et le comique des « larges masses populaires » de la majorité des pays au sud du Sahara.. Le travail de l’écriture chez nos deux auteurs va s’approfondir dans certains de leurs textes qui suivront après comme L’Etat honteux», Les yeux du volcan chez Sony Labou Tansi et Le chercheur d’Afriques et Sur l’autre rive chez Henri Lopes.

Et ces métamorphoses du roman seront aussi la caractéristique des textes de Tchicaya U Tam’Si venu un peu tard à la prose. Cet écrivain surprend les amateurs du roman en publiant quatre volumineux récits en un laps de temps : Les cancrelats (1980), Les méduses (1982), Les phalènes (1984) et Ces fruits si doux de l’arbre à pain (1987). Ces quatre livres proposent une écriture « hermétique » sous fond de poésie qui, comme chez Sony Labou Tansi et Henri Lopes, définit un nouveau type de textes qui privilégient le travail du signifiant. Se fondant sur la société congolaise d’avant et d’après les indépendances, les romans de Tchicaya U Tam’Si se présentent souvent comme un amalgame de récits enchâssés avec une prolifération de narrateurs qui, quelquefois, embrouille le lecteur. Comme les récits de Sony Labou Tansi et Henri Lopes, les romans de Tchicaya U Tam’Si se présentent comme des aventures discontinues, comme des puzzles qui demandent au lecteur de « reconstruire » la diégèse à lui proposée. On remarque dans « Les cancrelats » la technique du conte et la présence des textes de chanson en langue congolaise. « Les méduses » mettent en évidence le français africanisé qui provient de l’oralité vili, la langue maternelle de l’auteur.
Avec Sony Labou Tansi, Henri Lopes et Tchicaya U Tam’Si, commencent au Congo « les métamorphoses du roman ». Avec ces trois écrivains,

« le roman ici [dans les œuvres des trois auteurs précités] ne se donne pas le droit de raconter bien ou mal, ni même par l’absurde ou encore par défaut, des histoires vraies ou fausses, éclatantes ou secrètes, familières ou sublimes, pleines ou vides de sens (…). Sa place est toute clandestine, entièrement du côté « sauvage » de la pratique textuelle »[6]

Au cours de cette période, se remarquent quelques jeunes écrivains tels Jean Claude Zounga Bongolo, Julien Omer Kimbidima et Caya Makhélé par la qualité de leurs textes. Zounga Bongolo publie aux Nouvelles Editions Africaines L’enfant prodigue de Soweto en 1983 et Les sorciers de l’île Tibau en 1988. Julien Omer Kimbidima rappelle l’écriture de Sony Labou Tansi avec ses romans Les filles du président et Kriste est une gonzesse publiés respectivement en 1986 et 1990 à l’Harmattan ; Caya Makhélé se découvre prosateur confirmé avec L’homme au landau publié en 1988 aux mêmes éditions.

Que dire du roman congolais au seuil du XXIè siècle ?

Après plusieurs prix littéraires octroyés aux écrivains congolais et quelques satisfecit dans le domaine du roman, on peut dire que le Congo a été une grande « puissance » littéraire en Afrique subsaharienne au siècle dernier.

1969 : Guy Menga ; Grand Prix littéraire de l’Afrique noire (La palabre stérile)
1973 : Emmanuel Dongala ; Prix Ladislas Dormandi du meilleur livre étranger (Un fusil dans la main, un poème dans la poche).
1979 : Sony Labou Tansi ; Prix du Jury du Festival de la Francophonie à Nice (La vie et demie )
1983 : Sony Labou Tansi ; Grand Prix littéraire de l’Afrique noire ( L’Anté peuple)
1987 : Jean Baptiste Tati Loutard ; Grand Prix littéraire d’Afrique noire ( Le Récit de la mort)
1988 : Emmanuel Dongala ; Grand Prix littéraire de l’Afrique noire (Le feu des origines )
1988 : Emmanuel Dongala ; Prix Charles Oulmont Fondation de France (Le feu des origines)
1990 : Henri Lopes ; Prix Jules Vernes (Le chercheur d’Afriques )
1997 : Daniel Biyaoula ; Grand Prix littéraire de l’Afrique noire (L’impasse )
1998 : Emmanuel Dongala ; Prix RFI / Témoin du monde ( Les petits garçons naissent aussi des étoiles )
1999 : Alain Mabanckou ; Grand Prix littéraire de l’Afrique noire ( Bleu, blanc, rouge )

Cependant il y a eu un fait inquiétant : la disparition de trois grandes figures de la littérature congolaise dans les années 80 et 90 qui a porté un coup dur à la vie du roman. Tchicaya U Tam’Si meurt en 1988 avec toute sa fécondité dans le domaine de la création littéraire. Sylvain Bemba et Sony Labou Tansi sont emportés par la maladie en 1995. Ils emportent avec eux l’espoir du roman congolais, plus particulièrement Sony Labou Tansi encore jeune et servant de pont entre les confirmés d’avant et d’après la Révolution et la nouvelle génération.

Après la disparition de ces trois écrivains et l’exil aux Etats Unis d’Amérique d’Emmanuel Dongala provoqué par la guerre de juin 1997, le roman semble connaître une décadence de 1995 à 2000. Seuls quelques jeunes de la diaspora tels Alain Mabanckou, Julien Omer Kimbidima, Caya Makhélé et Daniel Biyaoula basés en France constituent l’espoir du genre. Au pays cet espoir renaît avec Henri Djombo, auteur de deux romans, Sur la braise et Le mort vivant.

Pour conclure

Malgré le coup dur des années 80 et 90, le roman congolais continue son chemin avec des grands auteurs féconds à l’instar de Guy Menga, Jean Pierre Makouta MBoukou, Henri Lopes et Emmanuel Dongala qui ne se fatiguent pas d’écrire. En considérant les nouvellistes Tati Loutard et Tchichélé Tchivéla qui pratiquent aussi le roman et les écrivains de la nouvelle génération de la diaspora et ceux restés au pays avec des manuscrits prometteurs qui n’attendent qu’à être édités, on peut dire que le roman congolais a encore de la chance de briller comme il l’a fait de 1953 à 2000.

mis en ligne le 13 janvier 2006
Par Noël KODIA


1. Alain Rouch et Gérard Clavreuil, Littératures nationales d’écriture française, Bordas, Paris, 1986, p. 94

2. Cf. la préface de Tarentelle et diable blanc de Sylvain bemba, éditions P.J. Oswald, Honfleur, 1976

3. R. et A. Chemain, Panorama critique de la littérature congolaise contemporaine, Présence africaine, Paris, 1979, p.15

4. Claude Wauthier, « Matsouanisme et littérature » in la revue Notre libraire : Littérature congolaise, CLEF, Paris, n° 92-93 de mars-mai 1988, p. 39

5. Henri Coulet, Le Roman jusqu’à la Révolution, tome I. A. Colin, 1967, p. 12

6. Jean Thibaudeau, « Le roman comme autobiographie » in Théorie d’ensemble, Seuil, Paris, 1969, p.203


Références bibliographiques

Chemain (R.) Préface de Tarentelle noire et diable blanc de Sylvain Bemba, P.J. Oswald, Honfleur, 1976
Chemain (A. et R.) Panorama de la littérature congolaise contemporaine, Présence africaine, 1979
Coulet (H.) Le roman jusqu’à la Révolution, A. Colin, 1981
Rouch (A.) et Clavreuil (G.) Littératures nationales d’écriture française, Bordas,1986
Thibaudeau (J.) « Le roman comme autobiographie » in Théorie d’ensemble, Seuil,1969
Wauthier (Cl.) « Matsouanisme et littérature » in Notre librairie : Littérature congolaise, CLEF, Paris, n° 92 et 93, mars-mai, 1988