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De la Françafrique à la Chinafrique

De la Françafrique à la Chinafrique :
Gagnant – Perdant ?

Avec le départ de grandes sociétés françaises comme Dagris, (ex-CMD, Compagnie malienne pour le développement du textile, elle-même ex-CFDT, ex-compagnie française de développement textile) de l’Afrique, il est clair que la compétition de l’Asie se fait sentir sérieusement. Mais la vérité, est que plusieurs des sociétés occidentales organisées dans le protectionnisme de la post-colonie ne peuvent plus tenir face à l’arrivée structurée et structurante de la Chine.

Quel est le problème ? Les pays dits industrialisés ont « oublié » de soutenir l’industrialisation effective la partie au sud du Sahara en contrepartie des accès aux matières premières. En contrepartie, l’emploi n’a pas été au rendez-vous et les populations pauvres, désœuvrées et mal-informées, choisissent, par vagues successives, d’immigrer vers un eldorado occidental qui sélectionne les entrées humaines, atteinte directe à la libre circulation des personnes et des biens promus par la mondialisation. Avec la Chine, la donne est différente car leurs dirigeants « commercent » avec les élites dirigeantes de l’Afrique sans état d’âmes et se garde bien de jouer au donneur de leçon. Le « Faites ce que je dis et pas ce je fais » des Occidentaux s’est commué en « Faisons ce que nous pouvons ensemble en nous respectant mutuellement » avec la Chine… C’est cela la devise « gagnant-gagnant ». Ce changement stratégique profite bien sûr aux consommateurs et quelques commerçants africains, mais ne le sera pas toujours si les Africains n’apprennent pas rapidement à fabriquer le filet qui permet de « pécher le poisson » au lieu de se contenter de poursuivre l’obsolète troc « matière première africaine contre produits manufacturiers chinois ».

Plus profondément, le système économique de la Françafrique n’est plus tout à fait rentable ni pour le centre, ni pour la périphérie. On le voit d’ailleurs dans les accords politiques qui se font en marge de l’ex-métropole en Côte d’Ivoire ou encore lorsque les Accords de partenariats économiques tentent de modifier les espaces d’intégration économiques existantes. L’Afrique francophone est donc bien à un tournant surtout si l’on se rappelle que le discours de la Chancelière allemande, Mme Angela Merkel à Cannes lors du sommet France-Afrique du mois passé a semblé réveillé le « discours de La Baule » de François Mitterand, pour ce qui est des déficits démocratiques encore nombreux sur le continent. Les populations africaines se doivent donc de demander des comptes à leurs représentants, les femmes en particulier puisqu’elles ont été longtemps mises à l’écart dans les décisions au sommet alors qu’elles portent l’espérance et l’avenir du continent. Il y a donc bien des perdants qui ne se reconnaissent pas encore vraiment dans la relation Chinafrique qui ne peut être considérée comme une copie conforme de la Françafrique.

La Chine a placé ses relations commerciales avec l’Afrique sous le signe, plutôt séduisant, du partenariat « gagnant-gagnant ». Les pays africains apparaissent cependant bien désarmés. Face à une Chine puissante, résolue dans ses objectifs et pragmatique dans ses méthodes, les chefs d’Etat africains avancent en ordre dispersé, sans aucune vision de l’opportunité que pourrait représenter l’action collective africaine dans un monde interdépendant.

Face la globalisation, chaque état continue de jouer sa carte dans le cadre de relations bilatérales asymétriques. Lors du sommet Chine-Afrique de Pékin (nov. 2006), la demande commune africaine s’est limitée au financement d’un centre de conférence pour l’Union africaine ! Qu’est-ce qui empêche nos chefs d’Etat de demander un centre de santé où tous les équipements de mesure (scanner, radio, etc.) seront mis à la disposition d’un futur Etats-Unis d’Afrique au service des populations ? Ce d’autant plus que un centre de santé continental ne coûte pas plus cher qu’une salle de conférence. A ce jeu, le risque est grand de revivre un « remake » des erreurs stratégiques d’arbitrage passées encouragées par les anciennes puissances coloniales, à savoir une relation privilégiée encline de paternalisme et fermée à la concurrence.

Soulignons au passage que la rapidité avec laquelle les groupes chinois ont pu prendre des positions en Afrique illustre bien le manque de compétitivité des Occidentaux sur des marchés pourtant accommodants. La qualité de ce nouveau dialogue Sud-Sud dépend de la volonté des gouvernements africains à imposer collectivement leurs priorités à savoir : la création de valeur ajoutée et le développement des capacités productives et de l’emploi sur le sol africain.

Peu d’États sont en mesure d’imposer individuellement leur condition de partenariat, ce d’autant plus que les intérêts d’un Etat ne convergent pas toujours avec ceux de sa population. Les Chinois affairistes ont parfaitement réussi leur intégration dans le tissu local à tel point qu’ils deviennent parfois de dangereux concurrents pour l’entreprenariat local informel ou formel ou en émergence. Bien que le consommateur africain y trouve son compte, les termes de cette coopération sur le long terme restent inégaux car ne produisant ni emplois décents, ni transformation sur place des matières premières, ni diffusion de la technologie. Enfin, elle semble se faire aux dépens d’une démocratie participative et des droits humains et de l’environnement.

Pour réussir à promouvoir une économie de l’agglomération, il convient de faciliter la circulation des Africains et des Afrodescendants de par le monde au sein de l’espace commun panafricain. Le pragmatisme commande qu’un système de passeport de la Diaspora soit mis en place sur la base de conditions précises de contribution à l’économie de l’agglomération. En attendant cette échéance, il semble plus rapide et pragmatique d’opter pour un visa Diaspora.

Au delà des gué-guerres commerciales, il appartient aux Africains de rappeler à leurs dirigeants que des sommets France-Afrique-Chine peuvent donner la possibilité aux uns et aux autres de promouvoir l’interdépendance africaine et permettre à l’Afrique de mieux valoriser ses positions envers les uns et les autres. En effet, nul n’est intéressé par un choc des civilisations prôné outre-atlantique. Au contraire, la recherche des harmonisations économiques pourrait servir de nouveau cadre diplomatique de promotion des valeurs africaines dénuées de tous complexes.

mis en ligne le 27 mai 2006

Par Yves Ekoué Amaïzo
Directeur du groupe de réflexion, d’action et d’influence « Afrology »
Economiste à l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI).
Il s’exprime ici à titre personnel.