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Les APE, le piège de l’Europe à l’Afrique

Les accords de libre-échange avec l’Union européenne (UE) visent à rendre réciproques les avantages consentis aux produits africains sur le marché européen (photo d’illustration). Esdras Ndikumana / AFP

Les Accords de partenariat économique (APE) déchaînent les passions sur les réseaux sociaux en Afrique de l’Ouest. Acceptés en mai par le Sénégal, mais pas encore par le Nigeria et la Gambie, réticents, ces accords de libre-échange avec l’Union européenne (UE) visent à rendre réciproques les avantages consentis aux produits africains sur le marché européen, où ils entrent librement. Le risque : détruire dans l’œuf des filières industrielles qui ont du mal à émerger.

Tomates, carottes, lait en poudre, chocolat et autres biscuits fabriqués en Europe – parfois à partir de matières premières africaines – vont pouvoir entrer librement sur le marché sénégalais, et ce même si ce pays n’a pas les moyens de subventionner son agriculture comme le fait l’Europe, première puissance agricole mondiale, ni de protéger ses filières locales contre ce que beaucoup dénoncent déjà comme une « concurrence déloyale ».

« Accords de pendaison économique »

Une levée de boucliers est en cours, du côté de la société civile sénégalaise, pour refuser la signature des APE, comparés par un député à des « accords de pendaison économique ». Une coalition nationale baptisée « Non aux APE » s’est dotée d’une page Facebook. Elle a lancé une pétition le 12 juillet à Dakar, avec le soutien de 84 universitaires, députés et syndicalistes, en vue de rassembler 5 000 signatures afin de faire pression sur le Conseil économique et social (CES).

L’économiste sénégalais Demba Moussa Dembélé, également connu pour sa critique du franc CFA, estime que l’agriculture du Sénégal ne « pourra jamais soutenir la concurrence avec la politique agricole commune de l’UE, qui sera subventionnée d’une manière ou d’une autre. Le peu d’industries que nous avons va disparaître en un instant et les pertes au niveau des recettes fiscales vont pénaliser nos budgets et accentuer notre dépendance à l’égard des bailleurs de fonds ».

Le collectif « Non aux APE » invite à suivre l’exemple de la Tanzanie, qui a décidé de se retirer des APE.

Manque de leadership diplomatique africain

La fronde est d’autant plus importante que sous la présidence d’Abdoulaye Wade, le Sénégal avait milité pour la renégociation des APE sur une autre base. En 2007, à l’issue d’un sommet à Lisbonne, Abdoulaye Wade avait déclaré que « pour nous, les APE c’est fini ». Le Sénégal avait également pris des mesures protectionnistes de limitation des importations d’oignon européen pour favoriser, avec succès, l’essor de sa filière de production locale . Entre-temps, le pouvoir a changé, et le président Macky Sall s’est montré plus enclin à ratifier les APE, afin de voir son pays bénéficier de l’assistance financière de l’Europe visant à « accompagner » ces fameux accords.

Depuis 2000, l’accord de Cotonou est qualifié de « baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique » par nombre d’économistes africains comme d’experts européens. Pour rétablir une concurrence loyale entre la banane latino-américaine et africaine notamment, ce texte prévoyait en effet, à la demande de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), la négociation des APE avant la date butoir de 2007 – largement dépassée en raison du refus massif des dirigeants africains. Le vent a tourné depuis, et le manque de leadership diplomatique sur le continent, après le départ du duo formé par Olusegun Obasanjo au Nigeria et Thabo Mbeki en Afrique du Sud, s’est soldé par des avancées notables de l’UE sur ce dossier.

Ultimatum de Bruxelles

Les APE régionaux ont ainsi été ratifiés en juillet 2014 par la Cédéao, de même que par l’Afrique australe, en raison de l’ultimatum lancé par Bruxelles : faute d’une ratification au 1er octobre 2014, les exportations africaines en provenance des pays à revenus intermédiaires (Côte d’Ivoire, Ghana, Cap-Vert et Nigeria pour l’Afrique de l’Ouest) auraient de nouveau été taxées à leur entrée sur le marché européen, contrairement à celles des pays les moins avancés (PMA). En libéral convaincu, le président ivoirien Alassane Ouattara a fait pencher la balance en faveur des APE au niveau de la Cédéao, après son accession au pouvoir en 2011. Sur le plan du droit, ces accords restent à ratifier au niveau national par certains pays qui s’y sont refusés dans le cadre de la Cédéao.

De façon notable, la région d’Afrique de l’Est, Tanzanie en tête, a persisté dans son refus de signer les APE. Une position défendue par nombre d’ONG dans les pays du Nord, parmi lesquelles Oxfam.

« Les APE prévoient non seulement la suppression des droits de douane pour les trois quarts des produits européens, mais aussi l’impossibilité de les rétablir par la suite, si la politique des pays ouest-africains devait changer », signale Pascal Erard, responsable du plaidoyer du Comité français de solidarité internationale (CFSI). En d’autres termes, c’est un piège. Le manque à gagner est estimé par Le Monde Diplomatique à plus de 2,3 milliards d’euros cumulés sur 15 ans en Afrique de l’Ouest. Une manne de financement autonome du développement qui va s’évaporer, sans être compensée par les aides financières de l’Europe.

Par Sabine Cessou
Publié le 15-07-2016
Source: RFI