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Le rôle de l’armée en Afrique à l’ère de Boko Haram

L’armée africaine a une triste réputation au sein des peuples qu’elle est censée protéger et défendre contre des ennemis extérieurs et intérieurs. De l’aveu des militaires eux-mêmes, ils ne sont pas aimés par les populations qui les méprisent voire les haïssent. D’où vient ce constat de désamour dans des pays où l’armée est chargée des basses besognes criminels en collusion avec des pouvoirs discrédités et illégitimes, bêtes et méchants ? Triste héritage de l’armée coloniale, l’armée néocoloniale est une armée d’occupation au service de la dictature; elle n’est pas au service du peuple, elle sert à le réprimer, à le terroriser. Elle est parfois tribalisée et tribaliste quand le dictateur qu’elle sert est un tribaliste compulsif. Les armées tribalistes sont toujours les déclencheurs des génocides et autres massacres de masse des ethnies qui s’opposent aux bandits au pouvoir. La démocratie ne peut en aucun cas s’accommoder d’une armée prétorienne conçue pour la tyrannie et l’impunité. A l’ère de la démocratisation, il est capital de réfléchir sur les fondations du nouvel ordre politique dont doit faire partie l’armée. Avec l’avènement des rébellions armées obscurantistes de fanatiques liberticides sur le continent africain, comme Boko Haram au Nigeria, les armées néocoloniales des pays africains ont montré leurs limites. Incapables d’affronter les rébellions armées, leur salut, la plupart du temps, se trouve dans la fuite. Courage, fuyons ! Ce genre d’armée archaïque a fait son temps et doit être changé.

Cette approche holistique qui peut apparaître comme un amalgame, parce que quelques différences existent ici et là entre pays africains, est un résumé des tares de l’armée néocoloniale africaine en général. Si tel ou tel aspect décrit n’apparaît pas dans tel ou tel pays, il ne faut pas en faire l’arbre qui cache la forêt. Etre à l’abri d’une tare aujourd’hui, n’est aucunement une garantie pour demain, car chaque tyran possède ses lubies.

Une armée d’occupation contre le peuple

Il faut remonter à l’époque de la colonisation transparente d’avant les années 1960 pour mieux appréhender le phénomène. En effet, après les indépendances truquées, les faux pères de l’indépendance, des despotes aux petits pieds, véritables marionnettes au service des colons mafieux qui les ont costumés et poudrés avec une raie au milieu de la chevelure frisée, pour faire plus élégant, à leur image, ont été les vrais fossoyeurs de la lutte de libération nationale. Les colons les ont proclamés chefs d’Etat avec un drapeau et un hymne national, pâle copie de marches militaires, comme La Marseillaise, en « francofaunie » ou de cantiques chrétiens genre God Save The King pour les esclaves des Britanniques. Ces nouveaux pays ont hérité des armées coloniales mercenaires qui besognaient pour le colon afin d’écraser dans le sang et la barbarie toute velléité anticolonialiste de leurs pauvres compatriotes asservis et humiliés.

Toute armée coloniale est une armée d’occupation étrangère. C’est, conscients de ce constat, que les tyrans africains, qui ont pris la succession des colons, au niveau de la visibilité, ont conservé à leur profit, au détriment des peuples, ces armées d’occupation constituées de militaires régnicoles. Quant aux officiers blancs de l’ancien régime, restés à leurs postes, ils ont été affublés de titres ronflants de conseillers techniques ou d’instructeurs. C’est en se servant de ces armées de mercenaires sans patriotisme que les dirigeants africains illégitimes ont assis leur pouvoir crapuleux et leur règne de bêtises ubuesques. Grâce aux armées d’occupation, ils ont bâti les partis uniques, anéanti toutes les oppositions et embrigadé le peuple. Aux opposants et surtout aux anticolonialistes, ils n’offraient que la prison, l’exil ou la mort.

C’est à force d’utiliser l’armée dans des missions extramilitaires de répression politique et de confiscation du pouvoir prébendier que certains officiers ont aussi pris goût aux combines politiques et aux délices du pouvoir qui les flattait. Préférant se servir eux-mêmes à la mangeoire, ils ont fait des coups d’Etat en se présentant comme des sauveurs patriotes. Mais les peuples allaient déchanter, en découvrant chez ces hyènes revêtues de peau de mouton, des prédateurs encore plus cruels et cyniques que ceux qu’ils ont chassés du pouvoir.

Dans les Etats néocoloniaux, la politisation de l’armée, vouée exclusivement à des missions extramilitaires, a eu pour conséquences graves l’éloignement de l’armée de son objectif véritable, à travers la négligence voire l’abandon de la formation, de la discipline, du patriotisme, de l’éthique. Dans la pratique, cette déchéance se manifeste par le vol, le pillage, le viol, les assassinats, la trahison et les massacres durant les périodes troubles de contestation du régime prédateur en place. En temps « normal » de terreur, ce sont les brutalités, le racket, le tribalisme, les violations massives des droits humains contre les populations qui, pourtant, les logent, les nourrissent et les blanchissent gratuitement. L’armée, au lieu de rassurer, fait peur à ceux auxquels elle est censée offrir la sécurité. Elle est une grave source d’insécurité.

Les Africains ont-ils tort de ne pas aimer leur armée ? Ils ne sont pas masochistes. Certains officiers sont des parrains du trafic de drogue, les principaux acteurs du détournement de la rente pétrolière ou des revenus des sociétés d’Etat. Ils sont riches comme Crésus et volent comme des babouins cynocéphales au milieu d’une bananeraie. Les plus voleurs sont les plus incompétents qui n’hésitent pas à recourir au tribalisme, au népotisme, au trafic d’influence pour s’enrichir, terroriser le peuple et protéger leurs péculats crapuleux. Quand ils sont au pouvoir, ils n’ont pas de politique ; ils n’ont qu’un appétit démesuré. Ils sont les principaux voleurs de la République. C’est la politique du ventre.

A l’heure de la démocratisation des pays africains, il est plus que pertinent de s’interroger sur le rôle de l’armée en régime démocratique. Ne pas le faire, c’est s’exposer aux errements du passé avec la possibilité du retour des coups d’Etat des petits sergents autoproclamés généraux vingt-quatre heures après leur putsch. Quand on procède à une révolution (changement de système politique), le tout premier acte de souveraineté du nouvel Etat, consiste à consolider son nouveau pouvoir en rompant avec l’ancien système par le changement radical de la nature et de la fonction des corps chargés de la sécurité et donc de la survie du nouveau système politique. Il faut changer le commandement lié à l’ancien système à travers les officiers qui l’incarnent. Il faut réassigner de nouvelles missions à l’armée pour la transformer en armée républicaine, c’est-à-dire une armée dépolitisée, détribalisée, représentative du tissu national et vouée exclusivement aux missions militaires au seul service du peuple et non plus d’un homme ou d’un soi-disant parti politique organisé autour d’une mafia politico-administrative prédatrice et illégitime. Elle est illégitime parce qu’elle n’est au pouvoir que par la grâce des fusils pointés sur le peuple et des élections truquées et scandaleusement sanglantes.

Le tribalisme politique consiste à privatiser l’Etat au profit d’une ethnie, au détriment des autres ethnies de l’ensemble national. Le tribalisme politique est le tribalisme ordinaire, peu dangereux, fait de préjugés, instrumentalisé par les politiciens au pouvoir. Son but consiste à faire de l’ethnie du despote un bouclier contre les autres ethnies. Mais l’envers de la médaille est la mise en danger criminelle de l’ethnie « bénéficière » du tribalisme politique, car aux yeux des autres, elle est un bouc émissaire tout désigné, dans l’attente d’une revanche. En Côte d’Ivoire, les deux camps ennemis qui s’affrontaient, lors de la course sanglante au pouvoir, ont, à tour de rôle, tribalisé l’armée pour arriver à leurs fins. Il en va d’ailleurs de même dans l’administration publique de ce pays. Ils sont allés jusqu’à déguiser le tribalisme politique sous l’euphémisme de l’ivoirité. Les Centrafricains sont pris au piège de la tribalisation de la vie politique par une armée tribale, acteur principal de la vie politique depuis Bokassa. Au Togo, La Conférence Nationale Souveraine a exigé, en vain, du dictateur Gnassingbé Eyadema, la détribalisation du recrutement et du commandement au sein de l’armée au pouvoir. Durant ces assises nationales, en 1991, le Comité d’Action contre le Tribalisme et le Régionalisme a révélé que 50% des officiers supérieurs de l’armée étaient originaires du même village que le général-président Eyadema ! Au Congo Kinshasa, de Mobutu aux Kabila père et fils, l’armée prend toujours la couleur ethnique du détenteur du pouvoir. Au Congo Brazzaville, la tribalisation de l’armée a débouché sur une guerre civile, tout comme au Tchad, où le vainqueur fait massacrer l’ethnie de l’opposant vaincu. Cette odieuse politique antinationale a débouché au Ruanda sur un terrible génocide avec la complicité de l’armée française. L’élection d’Alpha Condé en Guinée a été la victoire d’un tribalisme sur un autre tribalisme, à travers la rivalité des politiciens malinké et peuhl. Feu Sékou Touré a fait des petits avec son tribalisme maladif contre les Peuhl. La démocratie a été grossièrement caricaturée à travers des affrontements communautaires. La victoire d’Alpha Condé, très contestée, n’a été possible que grâce à la composition ethnique de l’armée qui a penché en sa faveur en réprimant sauvagement les manifestants du camp adverse, majoritairement des Peuhl. La composition ethnique de l’armée aurait penché du côté des Peuhl, que l’opposant Sellou D. Diallo aurait été proclamé vainqueur.

Pour qu’une armée d’un pays se comporte en armée d’occupation étrangère, il faut un Etat de non-droit et l’impunité dont se prémunissent, contre la loi, tous les lâches qui torturent leur peuple. Avec l’émergence timide ici et là de l’Etat de droit, la peur a changé de camp, les bourreaux civils et militaires ont peur, et considèrent que leur cramponnage au pouvoir à tout prix est leur seule garantie d’impunité, leur bouée de sauvetage.

Après le constat affligent que nous venons de faire, nous sommes légitimement en droit de nous demander si l’armée, dans nos pseudo-Etats néocoloniaux, que d’aucuns considèrent comme un corps parasitaire et inutile, doit être supprimée.

Pour une armée nationale au service du peuple

L’avènement de la secte fanatique et obscurantiste Boko Haram, au Nigeria, a été le vrai révélateur qui a attiré l’attention de tous ceux qui en doutaient encore sur l’incapacité chronique de l’armée néocoloniale à assumer ses fonctions classiques de défense de l’entité nationale. Le Nigeria, qui se targue de posséder la plus puissante armée de l’Afrique de l’Ouest, voire de l’Afrique subsaharienne, a dû cruellement déchanter en voyant ses militaires fuir comme des lapins poursuivis par une meute de chiens, la queue entre les jambes, devant les barbus de Boko Haram. L’armée de Boko Haram est évaluée à 7 000 hommes, selon les spécialistes, alors que celle du Nigeria dépasse les 200 000 hommes. Quelle honte pour les Nigérians et tous les Africains ! Dans d’autres pays, hors d’Afrique, la sédition de ces fanatiques n’aurait donné lieu qu’à une simple opération de police. Boko Haram, selon les experts, se serait équipé militairement en se servant généreusement dans les arsenaux des camps militaires de l’armée nigériane abandonnés par les troupes fugitives. Il a même été signalé la vente des armes des casernes, à Boko Haram, par des généraux corrompus plus rompus au business crapuleux qu’aux affaires militaires. Si le puissant Nigeria est impuissant face à l’ennemi, que dire des petits Etats qui l’entourent et qu’agresse Boko Haram ? C’est évidemment la débandade de leurs armées dont le salut, bien souvent, est dans la fuite. Il a donc fallu se coaliser régionalement (Nigeria, Cameroun, Tchad, Niger, Bénin.) et pourtant, c’est loin de suffire.

Avant Boko Haram, il y a eu quelques petits groupes insignifiants de djihadistes sécessionnistes cachés dans le désert du Mali. L’armée malienne a pris la fuite devant des rebelles sous-équipés. La honte s’est mêlée d’amertume lorsque l’un des chefs militaires fuyards, un certain capitaine Sanogo, se réfugia à Bamako, loin, loin du front, bien à l’abri, pour y perpétrer lâchement un coup d’Etat au prétexte que l’armement avait fait défaut. Lorsqu’il devint chef de l’Etat et chef de l’armée, les armes ne manquèrent plus, mais l’armée malienne prit la fuite sur tous les fronts ! L’ONU, l’UA, la CEDEAO, la France colonialiste durent envoyer des troupes pour sauver le capiston poltron Sanogo, aussitôt autoproclamé général, et tout le Mali. Sous Mobutu, les différentes rébellions n’ont été combattues victorieusement que par des troupes étrangères appelées au secours, car l’armée tribalisée était incompétente. C’est le même scénario en Centrafrique, au Tchad, au Liberia, en Sierra Leone, au Togo (Attaque d’un groupuscule armé contre le régime militaire en septembre 1986). Le Sénégal n’arrive pas, avec son armée, à éradiquer, depuis plusieurs décennies, la guérilla sécessionniste casamançaise.

Face à tous ces défis armés, les dirigeants durent faire appel à l’aide militaire extérieure contre des groupuscules rebelles armés de bric et de broc.

L’armée néocoloniale léguée aux Etat africains, n’a jamais répondu aux nécessités d’un Etat souverain et moderne. Il s’agit d’une armée prétorienne chargée de protéger ceux qui ont confisqué le pouvoir ou d’aider ceux qui veulent le conquérir sans passer par les urnes. Le paradoxe de ce statut vient du fait que ceux qui ont transformé l’armée en garde du corps, s’en méfient autant qu’elle leur est indispensable. Elle pourrait les renverser à tout moment. Elle-même n’échappe pas à la répression. Les militaires ont peur : les sicaires et les mouchards en son sein font régner la terreur à cause de sa politisation excessive. Etre soupçonné de velléités démocratiques là où règne la dictature, équivaut à une mise à mort pour les soldats et les officiers auxquels il est fait obligation implicitement de soutenir le parti présidentiel, celui du tyran de service. Ils sont surveillés et mis sur écoute par les services de renseignement qui ne rendent compte qu’au dictateur. Au Tchad, lors de la présidentielle frauduleuse de 2016, les organisations des droits humains ont informé l’opinion publique de la disparition d’au moins une vingtaine de militaires qui aurait mal voté dans les urnes. La machine de la répression et de la terreur n’a pas d’état d’âme ; elle broie tout sur son chemin. C’est le monstre qui dévore ses propres enfants.

« Dis-moi quelle est la nature du régime qui gouverne ton pays et je te dirai quel type d’armée tu possèdes ». A travers cette formule, il est facile d’identifier le type d’armée à l’œuvre dans les pays africains. L’armée néocoloniale est une armée archaïque dont la capacité au combat est très limitée et l’équipement généralement obsolète et insuffisant. Quand l’armement existe en quantité et qu’il est sophistiqué, les techniciens pour l’utiliser manquent parfois cruellement, condamnant celui-ci à rouiller dans les armureries. La « guerre des pauvres » qui opposa la Haute-Volta et le Mali, dans les années 1970, parce que la France leur avait fait croire que leur zone frontalière mitoyenne était une formidable réserve de matières premières, en est la parfaite illustration. Chacun, stupidement, voulut avancer ses limites frontalières au détriment de l’autre. La guerre allumée par la France eut lieu et ne dura pas trois jours sans que l’on eût à séparer les belligérants. Le combat cessa faute de combattants parce qu’ils n’eurent pas l’indécence de continuer à s’affronter à la machette et à coups de flèches. Il n’y avait plus de munitions pour les fusils et les canons, ni de carburant pour les rares blindés et transports de troupes ! Ce fut une guerre pichrocoline qui fit des dirigeants de ces deux pays la risée du monde entier avec le spectacle saugrenu et rabelaisien de chars d’assaut en panne d’essence en pleine brousse et que des bidasses éreintés et rigolards devaient pousser à la force de leurs muscles pour les ramener dans les casernes.

L’armée prétorienne est incapable de livrer une guérilla ou une guerre classique. Il ne s’agit pas de mots en l’air. Les faits l’ont démontré à maintes reprises. Le comble de l’ironie, c’est lorsque l’armée prétorienne, non contente de déserter le champ de bataille, s’adonne au pillage et au viol contre les civils dans la débandade et le chaos. Parfois, quand règne le chaos, des hordes de militaires hooligans, maupiteux et paillards terrorisent et tortionnent les populations sans défense sous la conduite d’officiers de pacotille qui « lisent » les cartes d’état-major à l’envers, coiffés par des généraux d’opérette ventripotents, quart-lettrés et incultes. Les statistiques condamnent l’armée prétorienne : à quelques rares exceptions près, elle a perdu toutes les guerres suscitées par des oppositions armées bien structurées (Le Tchad à plusieurs reprises, la Côte d’Ivoire, les deux Congo, le Centrafrique à plusieurs reprises, le Mali, l’Ouganda, Le Ruanda, le Burundi, la Somalie, l’Ethiopie et le Soudan face aux indépendantistes érythréens et sud-soudanais, la Libye, le Sierra Leone, le Liberia, les Comores, le Mozambique, le Sud-Soudan, le Sénégal, etc.).

Alors, à quoi sert-elle ? La réponse se trouve dans la première partie ci-dessus. Cette question ne s’impose plus face à l’évidence. La question doit être dorénavant : « Qu’est-ce qu’elle doit être ? » La question a déjà sa réponse dans la même première partie de notre réflexion. Malheureusement, les transitions démocratiques en trompe-l’œil, compliquent le passage de l’armée prétorienne à l’armée républicaine. En effet, partout où les élections ont été relativement honnêtes et ont permis l’avènement de régimes « démocratiques », la démocratie demeure un vernis plus mince qu’un vernis à ongles. Les nouveaux dirigeants, pour la plupart d’anciens complices des dictateurs recyclés en démocrates occasionnels, peinent à acquérir les réflexes des démocrates. L’usage du bâton vis-à-vis des opposants et leur achat est encore la règle. Les journalistes, les défenseurs des droits de l’Homme et les opposants continuent à être embastillés. La corruption s’étale et la justice est toujours instrumentalisée politiquement. L’armée prétorienne les arrange plus qu’elle ne les dérange dès lors qu’elle se met à leur service pour détruire l’opposition ou pour modifier le verrou constitutionnel du second mandat. C’est seulement lorsque l’armée n’est pas dominée par l’ethnie du nouveau chef qu’elle dérange. Le piège de la démocratisation des pays africains, c’est lorsque les rênes de ce régime sont confiées à des antidémocrates notoires qui ont fait leurs armes dans les partis de la dictature. Les ennemis du peuple, grâce à l’argent volé au peuple, sous les régimes liberticides qui ont fait leur fortune frauduleuse, créent des partis politiques dont ils sont les présidents-propriétaires richissimes et s’affublent du complet-veston ou du boubou trois-pièces amidonné du démocrate pur et dur pour gruger le bon peuple politiquement immature.

Même la démocratisation est devenue une sinistre caricature adoubée par la France, l’Union européenne et les Etats-Unis d’Amérique, les incorrigibles et hypocrites donneurs de leçons de démocratie. On recommence avec l’Afrique le vieux et poussiéreux scénario des fausses indépendances des années 1960 ! Au lieu d’être vigilants et de dénoncer la mascarade, les élites africaines se contentent de solliciter des postes juteux, de réclamer des prébendes, d’encombrer les cabinets présidentiels avec des postes aussi vides que ronflants de conseillers ou d’experts bidon, parfois avec rang de ministres. Comment peut-on être écervelés et donner de bons conseils ? La plupart ne sont d’ailleurs jamais sollicités pour quelque conseil que ce soit. Ils passent leur journée à dormir et à baver sur leur bureau, à lâcher des pets bien sonores, à faire semblant de travailler, tout en planifiant avec un sérieux impressionnant, en tirant la langue comme un écolier appliqué sur une page d’écriture, l’ordre de passage de leurs « deuxièmes bureaux », des moukères aux fesses liquides et aux reins élastiques avec lesquelles ils dansent sur l’air à la mode « Collez la petite. » !

Les ennemis du peuple ont confisqué la lutte démocratique en sortant par la porte et en rentrant par la fenêtre. Ce numéro de prestidigitateur n’a trompé que les naïfs. Avec les nouveaux pouvoirs, les réflexes tribalistes sont toujours vivaces. La construction d’une nation demeure le cadet de leurs soucis. La famille d’abord, la tribu ensuite et après les copains et les coquins.Akpatcho oyé ! Vivent les profiteurs ! s’écrient-ils, entre la poire et le fromage, confortablement installés à la mangeoire !« Collez la petite ! Collez serré ! Collez les hanches ! Pompez la petite ! Pompez les hanches ! Pompez seulement ! » Au Bénin, la présidence de Yayi Boni, élu démocratiquement (2006-2016), a été la période la plus corrompue de l’histoire du pays. Selon des intellectuels béninois, ce faux démocrate a même érigé le régionalisme en arme politique contre ses opposants. Le président sénégalais Abdoulaye Wade a fait pire en emprisonnant ses premiers ministres qui faisaient de l’ombre à son rejeton qu’il préparait pour lui succéder, en imitant les despotes Eyadema, Bongo et Kabila. Cette escroquerie politique des démocratisations trahies, n’est possible qu’avec la possession de la formidable machine de répression qu’est l’armée prétorienne, gage d’impunité dans un Etat de non droit.

Le long chemin de croix des peuples africains est loin d’être fini. Le chômage, la misère, les pandémies, la fuite du continent par sa jeunesse abandonnée, la gestion calamiteuse de l’Etat, la corruption généralisée sont des plaies cruentées qui obèrent l’avenir de nos peuples.

Pour beaucoup d’Africains, traumatisés par les actes barbares toujours impunis posés par des militaires contre les populations sans défense, il faut dissoudre ces armées tribalisées et tribalistes, indisciplinées et politisées qui constituent un obstacle majeur aux processus démocratiques engagés sur le continent. Il ne faut pas être naïfs, nous ne sommes pas seuls au monde ; nous vivons dans un environnement international très concurrentiel voire hostile dans lequel les volontés hégémoniques et les intérêts économiques recourent régulièrement à la force ouverte ou à la subversion par des intermédiaires pour faire avancer leurs pions. Les grandes puissances, vis-à-vis de l’Afrique, sont dans une position de chantage permanent. Elles financent les rébellions, la chute des gouvernements, choisissent leurs hommes liges comme chefs d’Etat, fixent arbitrairement les prix des matières premières que vend l’Afrique. Curieusement, c’est l’acheteur qui fixe le prix de la marchandise et non pas le vendeur. L’armée demeure un outil de souveraineté incontournable jusqu’à nouvel ordre. Il ne faut donc pas l’abolir mais la changer.

Comment la changer ? Cette question nous ramène à celle posée pour l’université néocoloniale en Afrique dont la vocation scandaleuse est de faire du copier-coller des systèmes d’enseignement et des programmes des universités occidentales qui sont bien souvent en déphasage avec les réalités du terrain. Raison pour laquelle les universités en Afrique, des universités sous-développées, demeurent des usines à former des chômeurs. Le financement par l’Etat de la recherche-développement est si insignifiant que l’on comprend que les gouvernants africains n’ont aucune vocation pour le développement de leurs pays. En pourcentage de son PIB, un pays comme le Togo ne consacre que 0,3% environ à la recherche-développement. Ces gouvernants sont des parasites de l’aide internationale, car ils se contentent de gérer le sous-développement et la dépendance. Ils sont au service de l’étranger, du grand capital international.

Il est donc urgent de mener une réflexion sur la nature de l’Etat que nous voulons et le type de développement économique qui nous mènera à l’indépendance et au bien-être de nos populations. Un nouvel Etat signifie aussi un changement de mode de gouvernance basé sur le droit, la justice, la reddition de comptes et la consultation régulière des populations au sujet des décisions engageant la nation. C’est dans ce moule que devra se fondre la nouvelle armée au service du progrès et de la sécurité des populations. Lorsque l’armée ne sera plus un levier politique pour des gangsters politiques assoiffés de pouvoir et d’or, elle pourra se consacrer dans l’ordre et la dignité à sa véritable mission dans le respect des citoyens et de la loi.

Toute société se fonde sur une tradition pour sa reproduction de génération en génération. Tradition, du latin tradere, signifie transmettre. La transmission des us et coutumes, de la culture et la pérennisation des institutions se fait par l’éducation, l’idéologie, la loi, la morale, le respect des institutions qui instaurent la distinction entre le licite et l’illicite, le bien et le mal. Ces mêmes entités relayées par la doxa désignent les tabous, régissent les rapports sociaux, les hiérarchies, la division du travail, la ségrégation entre les genres et la soumission à l’autorité et aux pouvoirs en général.

C’est dire toute l’importance qui doit être accordée à l’éducation dans le processus démocratique et dans toute politique d’émergence. L’homme politique doit d’abord être lui-même bien éduqué avant de prétendre vouloir diriger les autres. Il doit comprendre que l’homme politique doit avant tout posséder une vocation d’éducateur et non de voyou. Le militaire doit être soumis à une éthique et non aux règles du crime. L’Etat ne doit pas être privatisé au profit d’une ethnie, d’un clan ou d’intérêts économiques mafieux nationaux et étrangers. La démocratisation doit abolir l’Etat terroriste. A l’heure où il n’est question que de groupes terroristes sur les médias occidentaux, il serait temps de s’intéresser aussi aux Etats terroristes ! C’est donc de ce moule nouveau d’Etat démocratique et moderne que sortira une armée dont les Africains pourront être fiers.

Pouvoir et armée sont inséparables. Qui tient l’armée tient le pouvoir. Le pouvoir sans la force légitime est un leurre. Le gangstérisme militaro-politique qui a dominé le paysage politique africain depuis près de six décennies a été une catastrophe à tous points de vue. Le Togo en est l’illustration parfaite qui est régenté par un régime militaro-fasciste depuis un demi-siècle et où les dictateurs se succèdent, dans la même famille, de père en fils. Le bilan de la gouvernance est catastrophique : dans la région de la Savane, 90% des Togolais vivent sous le seuil de pauvreté (moins de 20 000 francs CFA par mois), pendant que nombre de dirigeants sont richissimes ! Dans les années 1990, plus de 300 000 réfugiés, fuyant les massacres contre l’ordre démocratique, ont été recueillis par le Bénin et le Ghana. Chaque année, plus de 40 000 jeunes rejoignent les masses de chômeurs. Les violations massives des droits de l’Homme, la terreur, la corruption généralisée, les élections sanglantes et frauduleuses sont le décor d’une sinistre démocrature médiocre. La politique de l’Etat, si l’on peut utiliser ce mot pour la pratique des dirigeants illégitimes qui ont confisqué le pouvoir, se résume à la mendicité internationale et au mensonge. Le pays navigue à vue de dettes en dettes jusqu’à se faire recruter dans la catégorie peu honorable des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) en 2008 ! Le Togo connaît une inexorable et humiliante descente aux enfers avec la complicité des puissances tutélaires étrangères. Le bilan lamentable du régime militaro-fasciste fait honte.

Pour conclure cette réflexion, le constat de la réalité a mis à nu l’armée néocoloniale comme un héritage de l’armée coloniale, c’est-à-dire une armée d’occupation qui vit sur le pays et est perçue par les habitants comme une armée ennemie sans foi ni loi. Elle est un instrument illégitime du pouvoir entre les mains de politiciens incompétents et qui n’ont aucune vision du développement. C’est la politique du ventre, une politique criminelle contre les peuples. Avec l’ordre politico-militaire scélérat, l’Etat-nation en Afrique n’est pas pour demain.

A force d’être dernière, l’Afrique des nuls au pouvoir risque de disparaître ; mais ce continent peuplé de femmes et d’hommes intelligents et très travailleurs ne veut pas disparaître. Les peuples résistent malgré une adversité toute-puissante formée par des ennemis de l’intérieur et de l’extérieur. Les processus démocratiques enclenchés, vaille que vaille, depuis les années 1990, sont détournés, caricaturés, confisqués par des ennemis fascistes et antipatriotiques qui ont pris le pouvoir par la ruse et la corruption pour étouffer l’espoir d’une Afrique indépendante, libre et prospère. Cette scélératesse n’est possible que grâce à la privatisation de l’armée néocoloniale. L’armée républicaine sera l’émanation d’un Etat nouveau au service du peuple et non des puissances impérialistes et des affairistes mafieux. La lutte pour la démocratie qui est fondamentalement une lutte pour la liberté, est une tentative de conquête de l’indépendance volée des années 1960.

Par
Ayayi Togoata APEDO-AMAH
Professeur Lettres Modernes