LES DOSSIERS

Ces dictateurs sortis des urnes

Source : Afrique Pluriel

L’année 1990 marque le début de la démocratisation en Afrique, avec la tenue de conférences nationales censées consacrer la rupture avec un passé politique dominé par des régimes de parti unique, fait de violence et de sang. Une ère nouvelle devait alors s’ouvrir avec des élections libres et pluralistes garantissant une alternance politique pacifique.

Après 7 ans de démocratisation, le bilan, plutôt mitigé, se caractérise notamment par le recours accru aux armes comme moyen de conquête du pouvoir (Niger, Burundi, Congo-Brazzaville ….), le maintien des dictatures, l’état de guerre larvée dans de nombreux pays (Algérie, Libéria, Sierra-Leone, Soudan Somalie, Rwanda, Burundi…).

Les conséquences humanitaires et économiques sont incalculables. Notons au passage que l’Afrique détient le record de personnes déplacés (environ 20 millions de personnes) et de réfugiés ; exemple : le Soudan ou la nouvelle guerre territoriale entre l’Erythrée et l’Ethiopie.. (ce dernier pays a renvoyé des milliers d’érythréens chez eux après le début du conflit en Mai 98 et continue à le faire !).

Ces situations assombrissent l’image de l’Afrique et peuvent accréditer l’idée de l’existence d’une démocratie spécifique « à l’africaine », qui ne devrait pas ressembler aux démocraties du Nord.

Dans de nombreux pays, le monopartisme a d’abord laissé la place à une kyrielle de micro-partis, non démocratiques. A la tête de certains d’entre eux se sont placés les représentants de la nouvelle classe politique : jeunes loups pressés de s’enrichir et de se constituer un patrimoine personnel, ils sont souvent avides du « pouvoir pour le pouvoir », tout comme leurs aînés.

Mais, de manière générale, le jeu politique restait gouverné par les « dinosaures » des anciens régimes (les exemples ne manquent pas ! !) qui ont su traverser toutes les crises politiques depuis les indépendances et qui ne voient aucun problèmes à se proclamer démocrates pour se conformer au nouveau lexique de la scène internationale.

Les représentants des oppositions, privés de statut valorisant, déchirés par des luttes d’influence au sein de leurs partis, ont souvent brillé par leur manque d’initiatives constructives, piaffant d’impatience à la porte du pouvoir. Les chefs des micro-partis devenaient de manière de plus en plus patente les clients (le mot clientélisme est souvent employé en Afrique, et pour cause ! !) des aînés politiques qui sont tout naturellement revenus occuper le devant de la scène.

A ce niveau, conserver le pouvoir au prix de toutes les compromissions devient le leitmotiv, ce qui n’est pas sans conséquences sur les mécanismes électoraux.

Passé l’euphorie de la première phase d’élections pluralistes financées par les institutions internationales, les administrations africaines ont de plus en plus de mal à organiser des scrutins. On peut incriminer la crise économique, mais le problème réside plutôt dans le refus de la plupart des états de mettre en place des commissions électorales indépendantes permanentes (cette dernière option semble cependant avoir été choisi par le général Abubakar au Nigeria en vue des prochaines élections prévues en 1999).

Ces commissions sont déterminantes : elles veillent aux opérations ordinaires d’état civil mais elles permettent aussi l’élaboration de projets de révision des textes électoraux. Elle peut être une réponse à l’épineux problème du financement du dispositif général nécessaire à la tenue d’élections (établissement de cartes d’identité et de cartes d’électeur, révision régulière des listes électorales…).
Pour certains dirigeants, la philosophie des élections se résume dans les propos désormais célèbres de Pascal Lissouba (président congolais) : « On n’organise pas des élections pour les perdre » ! !

Découpage électoral « sur mesure » et recensement administratif tronqué (Congo, Kenya..) ; lois électorales conçues pour disqualifier des adversaires car ils sont d’origine étrangère (Côte d’Ivoire, Zambie) ; lois électorales comme en Guinée où l’on empêche un adversaire de se présenter pour motif de trop long séjour à l’étranger (c’est le cas pour le principal adversaire du président Lansana Conté : Alpha Condé) ; contrôle exclusif des médias et mobilisation des finances publiques pour le candidat sortant ; arrestation des adversaires politiques (Niger) ; chasse aux non-originaires de la région (Congo, Kenya) ; instauration d’un climat d’émeutes pour qu’une région peu favorable au régime en place ne vote pas trop massivement pour l’opposition (Kenya). Bref, tous les moyens les plus contraires à la démocratie sont employés pour assurer la réélection du candidat sortant : quitte à créer, au besoin, une tribu favorable au président, comme dans le cas du Congo-Brazzaville, qui a vu apparaître en 1993 les Nibolek, nom de tribu formée à partir des premières syllabes des trois régions favorables au chef de l’état (Niari, Bouenza, Lekoumou) ! !

Il existe aussi de nombreux petits trucs très efficaces pour influencer les électeurs : protection des bureaux de vote par des hommes en arme, y compris à l’intérieur des locaux ; présence près des urnes de chefs traditionnels ayant bénéficié de quelques largesses d’un candidat et qui veillent à ce que les votes aillent dans le bon sens ; des urnes qui n’arrivent pas dans les bureaux car le préfet ne disposait pas de carburant pour sa voiture…..

Les élections apparaissent alors comme un simple moyen de légitimation d’un pouvoir confisqué au nom de l’ordre et de l’intégrité territoriale, comme au Togo, où le général Eyadéma s’est maintenu à la tête de l’état en 1993 après un scrutin dont les irrégularités étaient avérées, ou au Gabon, où le président sortant proclama sa victoire au premier tour de l’élection en 1993 alors que le dépouillement n’était pas achevé dans la capitale, bastion de l’opposition.

Il peut aussi suffire, après un coup de force, d’organiser une élection « maison », dont les résultats sont connus d’avance, pour se parer du label de démocrate, comme au Niger, où, le 27 Janvier 1996, Baré Maïnassara chassa du pouvoir le chef de l’état démocratiquement élu en 1993, inaugurant ainsi le premier coup d’état en Afrique francophone depuis le mouvement de démocratisation de 1990. Motivé officiellement par la noble intention de rétablir l’ordre, il organisa très rapidement des élections dont il s’assura la victoire, dès le premier tour.

Au Liberia, après 7 ans d’une guerre civile qui a fait 150 000 morts, l’élection présidentielle de Juillet 1997 a eu pour vainqueur un des seigneurs de la guerre, Charles Taylor, qui l’a emporté avec 75.3% des suffrages exprimés : quand on connaît les difficultés qui pèsent sur l’organisation d’une élection, même en temps de paix, la validité d’une élection organisée en temps de guerre laisse rêveur.

Quelques exemples visent à contredire tout cela comme au Bénin, avec la création en 1995 du Réseau béninois pour des élections transparentes et pacifiques ; en Côte d’Ivoire, avec l’Observatoire nationale des élections crée en 1995, puis au Ghana, avec le Network for Domestic Observers en 1996.

Il faut aussi souligner que la communauté internationale, empêtré dans une approche normative de la démocratie, se satisfait de dictateurs sortis des urnes. Forts de leur légitimité usurpée, certains chefs d’état, ceux-là même qui musellent l’opposition et qui foulent aux pieds les droits de l’homme, sont érigés en champion de la paix, tel Eyadéma au Togo, dont on a redoré le blason en lui confiant la responsabilité de la cellule de réflexion sur la création d’une force interafricaine d’interposition.

La démocratie suppose aussi l’existence d’une opposition à part entière. Il convient alors qu’elle puisse s’exprimer et jouer pleinement son rôle au sein des institutions de la Republique : médias, Assemblée Nationale, mais aussi dans les régions et les municipalités. Trop souvent, les régimes pseudo-démocratiques n’autorisent une prise de parole de l’opposition qu’en de rares occasions. L’effervescence des médias, qui a marqué le début de la période de démocratisation en Afrique, a été très vite bridée et la presse muselée.

La société civile africaine, force régulatrice du jeu démocratique, doit s’impliquer bien davantage dans la vie politique, en se donnant les moyens d’agir, sur une base non partisane, à travers la création de réseaux nationaux, régionaux et internationaux. Pour tout cela, l’éducation et l’alphabétisation doivent se propager dans la société civile, comme le remarquait cette femme malienne : « si vous êtes éduqué, vous pouvez résoudre bien des problèmes ».
On peut regretter qu’une partie de l’élite africaine ait désertée les lieux de la connaissance et de diffusion du savoir, préférant les allées du pouvoir plus rémunératrices.

L’Afrique militaire :

Savez-vous que 20 des 53 Etats membres de l’OUA ont pour président un militaire ou un homme qui l’a été ! !

Voici ces pays :
Algérie, Bénin, Burkina, Burundi, Congo, Egypte, Gambie, Ghana, Guinée, Guinée-Bissau, Guinée équatoriale, Libye, Madagascar, Mauritanie, Niger, Nigeria, Soudan, Tchad, Togo et Tunisie.
En tout, quelques 318 millions d’africains (chiffre arrondi) sont gouvernés par des militaires (on compte 720 millions d’habitants en Afrique) ! ! : disons quand même que le Nigeria représente à lui seul 95 millions d’habitants et le Soudan 27 millions).

Quand on sait qu’à partir d’une affaire personnelle, l’armée de Guinée-Bissau a imposé sa loi et arraché des concessions politiques importantes, on se rend compte ce que représente d’effrayant la mainmise de l’armée sur un état.

On pourrait citer mains exemples où les militaires n’ont pas hésiter à se débarrasser de « poids lourds de la politique » dont Kwame Nkrumah au Ghana (1966) ou Modibo Keita au Mali (1968). Mieux encore, la succession des militaires au Nigeria est sans fin depuis plus de 20 ans (avec une transition démocratique trop courte !).

En 1989, une soixantaine de coups d’Etat ont été commis en Afrique depuis 1952.
Les années 90, celles de la démocratisation, ne changeront pas grand chose.

Plus grave encore : les armées sont parfois composées d’une ethnie majoritaire comme au Togo où sur les 13 000 hommes que compte l’armée togolaise,10 000 hommes seraient originaires du Nord, dont 7000 pour la seule ethnie du président, les Kabyé.
On pourrait aussi parler des milices présidentielles à forte préférence ethnique comme au Tchad, en Centrafrique, au Congo (en 1991 la Conférence Nationale prévoit que le président pourra s’entourer « d’un groupe d’hommes qui assurent sa sécurité »)…..Citons cette phrase de Jacques Chirac,1991 : « Depuis l’indépendance des états africains, un immense effort a été fait pour essayer de rassembler dans des Etats-Nations des ethnies d’origine différentes. A partir du moment où se développe le multipartisme, il y a très grand risque de mettre en œuvre, en réalité un multi-ethnisme. Il n’y a pas de plus grave danger pour les nations en construction ».

En ce qui concerne les attributions de l’armée dans la constitution, celle de Brazzaville au Congo est édifiante : « Les Forces armées congolaises ont pour mission de défendre l’intégrité du territoire nationale…. Elles participent au développement économique, social et culturel dans les conditions fixées par les lois et règlements ».

Pour terminer, citons les armées « sages » du continent africain : Sénégal, Côte-d’Ivoire, Gabon, Cameroun…Les chefs d’état de ces pays ont donné aux gradés le moyen d’être heureux sans le pouvoir politique.